La série Clan, sur Arte, convoque l’esprit des romans à énigme d’Agatha Christie, les fameux « whodunit ».
Il y a un adage, plutôt juste, qui dit : «On choisit ses amis, mais pas sa famille». C’est vrai, les liens du sang peuvent jouer de mauvais tours, surtout quand ceux-ci s’étendent à la belle-famille, source inépuisable de tension, de quiproquos, de railleries. Avec elle, les repas dominicaux, entre la poire et le dessert, prennent parfois des airs d’échauffourées, entre coups de gueule et soupirs contenus. C’est le cas chez les Goethals, quatre sœurs qui se coltinent un beau-frère comme on en fait rarement : raciste, homophobe, machiste, égoïste, malveillant, sournois.
Jean-Claude, affectueusement surnommé «La Couille» («de kloot» en VO) par ces dernières, cumule en effet tous les défauts. Il n’a qu’une seule passion : pourrir la vie des autres ! Seule sa chère épouse Goedele, reléguée au statut de femme au foyer et de mère dévouée, lui trouve toutes les excuses. Ce qui n’est pas du goût de Birgit, Veerle, Rebekka et Eva, bien décidées à sortir leur frangine des griffes de cette ordure en pyjama éponge et à reconstituer le «clan» familial. Comment ? En le tuant, pardi ! Surtout que chacune a de bonnes raisons de vouloir le pousser dans la tombe.
Dès le premier épisode, leur plan semble avoir fonctionné : la petite ville flamande de Vredegem est en deuil et la fratrie ne boude pas son plaisir – sous des larmes de crocodile bien sûr – de voir le beau-frère dans le cercueil. Mais sont-elles vraiment à l’origine de son trépas ? Car le défunt, dans ses sales tours, s’est fait beaucoup d’ennemis : des voisins, un collègue de bureau, l’ami «simplet» et même la mafia chinoise ! Pour démêler le tout, deux frères assureurs de la ville voisine, au bord de la faillite, cherchent à démontrer que cette mort n’a rien d’accidentel…
On connaît le ton sarcastique, l’inventivité, le sens du décalage et les penchants surréalistes des productions flamandes, qui peinent – et c’est triste – à se frayer un chemin jusqu’à nous. Saluons donc l’initiative estivale d’Arte qui, début juillet, a ressorti des cartons cette série gentiment barrée. Diffusée à l’automne 2012 sur la chaîne VTM, Clan est d’abord une production «100% féminine» imaginée par Malin-Sarah Gozin, qui s’entoure d’une scénariste (Bert Van Dael) et de deux réalisatrices (Nathalie Basteyns, Kaat Beels), sans oublier son joli casting d’antihéroïnes déterminées, face auxquelles les hommes font pâle figure.
Pour la forme, on est dans un entre-deux. D’un côté, la série fait référence (de loin) à deux autres modèles du genre : Desperate Housewives pour les faux-semblants et Dexter pour le générique diabolique. De l’autre, elle convoque l’esprit des romans à énigme d’Agatha Christie, les fameux «whodunit» («qui l’a fait ?»). Comme dans un Cluedo sans le chandelier ni le colonel Moutarde, tout tient ici à l’intrigue et à l’enquête, construites en une succession de flash-back. Des allers-retours temporels qui lèvent le voile sur les rancœurs qui couvent et les coups tordus de Jean-Claude, à la fois victime et bourreau.
Dix épisodes, donc, durant lesquels le spectateur assiste, dans un humour noir belge, aux plus sordides machinations des quatre frangines pour liquider l’affreux personnage : poison, pendaison, explosion, exécution par balle, électrocution… Mais si elles ne manquent pas d’idées, elles pèchent dans les travaux pratiques. C’est d’ailleurs ce qui fait le charme de Clan : d’abord ce côté machiavélique amateur, qui crée plus de problèmes qu’il n’accouche de solutions. Ensuite les liens forts qui unissent, coûte que coûte, cette fratrie (constat tout autant valable pour les deux frères assureurs-détectives). Certes, chacune garde un œil sur l’autre et reste dans ses pattes, mais c’est pour la bonne cause. RIP «La Couille».
Grégory Cimatti