Quand on est adulé par toute l’Italie durant presque deux décennies tout en se trimballant une horrible natte tressée, c’est que l’on a forcément quelque chose que les autres n’ont pas. Oui, Roberto Baggio était un joueur à part, illuminant le jeu de toutes les équipes par lesquelles il est passé, bien que lui préférait rester loin de l’attention. Une humilité devenue touchante quand, 25 ans après son penalty loupé contre le Brésil en finale de Coupe du monde 1994, il avoue, encore, que la blessure n’a jamais vraiment cicatrisé. Le «Divin Codino» porte toujours sa croix. Pour le consoler, on lui a donc consacré un film.
C’est Letizia Lamartire qui s’y est collée, jeune réalisatrice récompensée au festival de Villerupt en 2018 avec son tout premier long format (Saremo Giovani e bellissimi). Pour raconter ce mythe du ballon rond, elle aurait pu tomber dans le geste facile : celui d’en faire un documentaire. Elle a finalement choisi le biopic, se privant même d’exploiter les images d’archives. Il y en a en effet très peu (la cinéaste se rattrape dans le générique de fin). Son idée : raconter l’homme, et moins le footballeur – bien que l’un n’existe pas sans l’autre. Car derrière la légende, le succès et le talent, il y a aussi les doutes, les conflits, les combats.
Roberto Baggio, sur le terrain comme en dehors, est un exemple parfait du génie tourmenté. Il Divin Codino se construit sur cette figure désenchantée, dont la trajectoire pourrait se résumer ainsi : de la souffrance, de la déprime, et beaucoup d’abnégation pour renaître, tel un phœnix, et guérir de ses blessures (au genou et à l’âme). La réalisatrice file alors droit au but, et passe du coup sous silence des épisodes importants de sa carrière (le Mondial 90 et celui de 98, ses années à la Juventus, au Milan AC et à l’Inter de Milan), s’attachant à trois moments clés : son éclosion à la Fiorentina, la Coupe du monde 1994 et son ultime résurrection à Brescia, lui faisant miroiter une dernière tournée mondiale avec la sélection italienne en 2002.
Roberto, rends-moi heureux !
Mais voilà, pour le «Divin à la queue-de-cheval», sacré Ballon d’or en 1993, rien n’a été facile : alors qu’il s’apprête à jouer en série A et qu’on lui promet un bel avenir, son genou cède (220 points de suture, tout de même!). Il ne jouera que deux matches en deux ans. Que dire de cet été 1994, quand il a guidé la Squadra Azzurra jusqu’à une finale de rêve contre le Brésil, avant de voir son penalty s’envoler dans les nuages de Pasadena. Inconsolable, il trouvera toutefois un peu de répit dans le bouddhisme (il s’y est converti à l’âge de 19 ans). Ce qui n’empêchera pas pour autant les brouilles avec son père et ses autres «pères», les entraîneurs, Arrigo Sacchi en tête.
Andrea Arcangeli, qui prend les traits et la coupe de Roberto Baggio, trimballe son spleen et enchaîne les come-back tout au long du film. Avec détermination et son petit carnet à la main, dans lequel il se fixe des objectifs, l’acteur joue juste, bien que l’exercice semble plus difficile avec des crampons aux pieds. Évidemment, pour ce qui est de football pur, ce que l’on voit à l’écran est loin des résumés YouTube : ça sonne un peu faux, mais on sent qu’il y a une volonté de bien faire! Concédons aussi à Letizia Lamartire la difficulté de mettre le sport en fiction.
Inspiré du livre de Raffaele Nappi, Il Divin Codino, comme son personnage, avance sans prétention. Tout au plus, il espère plaire aux fans de football. Il en séduira peut-être d’autres qui verront l’homme caché derrière le champion, comme le dit la chanson de Diodato qui lui est dédiée (L’uomo dietro il campione). Chez de nombreux fans, en Italie et plus loin, c’est en tout cas l’image qu’il laisse : celle de quelqu’un qui leur ressemble, cabossé mais dur au mal, aimé pour sa fragilité comme pour sa magie balle au pied. Carlo Mazzone, son ancien entraîneur à Brescia, le dit si bien : «Roberto, rends-moi heureux !». Une coupe mulet, un numéro 10 et un ballon : il n’en faut pas plus pour écrire une belle histoire.
Valentin Maniglia