Ce vendredi, le critique littéraire du Quotidien retient «Eve à Hollywood», écrit par Eve Babitz, paru aux éditions Seuil.
Elle fut fan des sixties, un peu «baby doll». À 20 ans, en 1963, elle ne pose pas en bikini mais, courbes aussi laiteuses que la mèche est brune et cache le visage, nue lors d’une (fausse) partie d’échecs face à Marcel Duchamp. Ça ressemble à Lost in L.A., la cité des anges où est née Eve Babitz. Dans le quartier de Chula Vista où vit la famille viennent Charlie Chaplin, Greta Garbo, Aldous Huxley, Bertrand Russell. Et surtout Igor Stravinsky et sa femme Vera, «la personne la plus naturellement aristocratique au monde» dont «son génie de l’innocence est si charmant, si sexy et foncièrement vivant».
Plus âgée, Eve Babitz dira : «Je ressemble à Brigitte Bardot et je suis la filleule de Stravinsky !» Ce Stravinsky qui, écrit-elle, «me glissait des verres de scotch sous la table basse quand ma mère avait le dos tourné ; j’avais treize ans»… Grâce et la magie de l’édition, voilà enfin la version française d’Eve à Hollywood, texte qu’Eve Babitz a publié en 1972! Figure du post-modernisme, égérie de la scène artistique «angelinienne» dans les années 70, elle s’y montre auteure débordante d’audace.
Babitz, c’est la «coolitude» incarnée. En préface, la traductrice Jakuta Alikavazovic écrit : «Eve en une phrase? Quelle joie, malgré tout, d’être qui l’on est. Quelle joie d’être qui l’on est et de pouvoir admirer le ciel. Voilà ce qui revient sous sa plume. Voilà pourquoi on l’aime.» Que ce soit clair, Eve Babitz a été une fille libre au XXe siècle, elle l’est toujours au XXIe. Éternelle contente, belle et aimant par-dessus tout la beauté, elle passe des jours à s’interroger : «Comment se fait-il que je ne sois pas devenue une musicienne accomplie au lieu d’une blonde, les pieds dans l’eau, sur la plage ?»
La permanence de la légèreté
Avec cette femme, c’est la permanence de la légèreté, celle élevée au rang des beaux-arts. De sa ressemblance à Brigitte Bardot, de sa splendeur, elle n’en parle jamais comme un cadeau d’essence divine, mais plutôt comme d’un job à temps complet. Ainsi va la vie d’Eve Babitz qui prend plaisir en un peu plus de 330 pages à croquer le microcosme de la Cité des anges – et qui veille à toujours être en bonne place sur la photo! C’est la «dolce vita» version California, c’est gentiment gai et coloré, souvent acidulé.
Il y a aussi les amours, vraies ou fantasmées, avec Marlon Brando et Tony Curtis. Son QG, c’était le Château Marmont au 8221 Sunset Boulevard, West Hollywood. La drogue, elle n’en avait pas spécialement besoin, c’était un usage d’insouciance – ce qui lui fera dire devant une commission : «Tous les gens que je connais fument de la marijuana, sauf ma grand-mère!» Et puis, pour Eve Babits, il y a l’écriture. Qu’elle maîtrise, bien qu’elle n’ait jamais cherché à faire mieux, parce qu’à L.A., ça n’a rien de confidentiel, la vie d’Eve c’est avant tout «sea, sex and sun»… Aussi parce que, fille libre, elle a toujours pensé que «les héros et les ingénues doivent être des mutants, car ils ne dépassent jamais le milieu de l’acte trois (à supposer que l’on soit dans une tragédie, ce qui est le cas en général)». Héroïne ou ingénue, Eve ? Allez savoir…
Serge Bressan