Un délicieux et gros bouquin présente les grands principes de la philosophie marxiste «tendance Groucho», où se côtoient le burlesque et l’absurde : Les Marx Brothers par eux-mêmes… et ce n’est pas une plume de cheval !
Burlesque et absurde. Voilà donc les deux adjectifs qui, dès les premières années 1920 et leur premier succès sur les scènes de Broadway à New York, ont défini la nouvelle définition d’une philosophie : le marxisme… Non pas celui de Karl et du Capital, mais bien celui d’une bande de quatre frangins américains bien allumés, nés de Simon Marx, natif d’Alsace et surnommé par ses lascars «The Frenchie». C’est tout naturellement que, frères, ils se pointent dans le monde du spectacle puis du cinéma sous le nom des Marx Brothers, dès Humor Risk, leur premier film en 1921… C’est le marxisme «tendance Groucho»!
En cette période de tristesse et catastrophe planétaire covidienne, les Marx Brothers, cette «bande des quatre» aussi déjantée qu’hallucinée, est de retour. «Marx attaque» pour bousculer l’absurdité du monde, y survivre par l’art du rire. Par la grâce d’un délicieux et gros «bouquin» simplement titré Les Marx Brothers par eux-mêmes, dont l’auteure, Chantal Knecht, est productrice et réalisatrice de documentaires et de fictions.
«Les premiers snipers de l’humour»
Depuis toujours, elle est passionnée par la fratrie et a, de nombreuses fois, rencontré les enfants de ses héros à New York quand elle préparait une «nuit Marx Brothers» pour la chaîne ARTE. Préfacé par le toujours pince-sans-rire Jean-Loup Chiflet, le livre-somme (plus de 760 pages!) est décliné, tel un abécédaire, par thématiques, de A (comme Acteur) à Z (comme Zeppo). Le livre n’est rien moins qu’un (formidable) hymne à quatre comédiens, tout simplement les plus grands du cinéma burlesque parlant. Il y avait donc Chico, l’aîné né Leonard et pianiste identifiable immédiatement pour sa technique du «doigt revolver»; Harpo, né Adolph, clown muet à l’écran (mais parlant dans la vie quotidienne) et tenant son pseudonyme de Harpocrate, le dieu grec du silence, enveloppé dans son manteau toujours débordant d’ustensiles de cuisine; Zeppo, né Herbert et remarquable parce qu’il était «comme tout le monde», et bien sûr l’immense Groucho, né Julius et le plus célèbre de la fratrie, obsédé sexuel et textuel (on lui doit de vertigineuses autobiographie ou encore correspondance)… Et il convient de ne pas oublier Gummo, né Milton et qui avait trouvé le bon job : imprésario de ses frères!
Parmi leurs admirateurs, il y avait Chaplin, F. Scott Fitzgerald, George Gershwin, Salvador Dalí, qui vouait un véritable culte à Harpo… et aussi Antonin Artaud, le poète français aussi génial qu’allumé qui, chez les frères Marx, notait «l’exercice d’une sorte de liberté intellectuelle où l’inconscient de chacun des personnages, comprimé par les conventions et les usages, se venge, et venge le nôtre en même temps». Jean-Loup Chiflet rappelle que «les Marx ont été les premiers snipers de l’histoire de l’humour en transformant la réplique incongrue en œuvre d’art, en déformant la réalité à coups d’effets comiques». Au début des Marx Borthers, ce fut un coup de tonnerre dans le monde du spectacle d’une Amérique où la bien-pensance faisait loi. Dans le livre de Chantal Knecht, on relève également l’importante parentèle de la fratrie «marxiste» avec les Chaplin, Buster Keaton, Mack Sennett ou encore Laurel et Hardy… Sauf que les Marx Brothers ont apporté dans le cinéma parlant le burlesque et l’absurde, les ont portés à leur summum, à leur paroxysme. Duck Soup, A Night at the Opera, The Big Store ou encore Horse Feathers demeurent, plus de 80 ans après leur sortie, des œuvres fondatrices d’un certain genre de cinéma. Une référence, un mètre étalon.
Et puis, comment résister au plaisir de présenter, sous la plume de Groucho, le maître à penser et du verbe, le «lider maximo» de la philosophie marxiste, quelques pensées et bons mots définitifs. La jubilation est éternelle. Ainsi, dans le film Duck Soup, la propriétaire accueille, les bras grand ouverts, tel le sauveur, Groucho. Lequel lui lance : «À quelle heure fer-mez-vous?» Ou encore cette épitaphe qu’il aurait voulu inscrite sur sa tombe : «J’aurais pu vivre plus longtemps. Mais maintenant, c’est trop tard.» Au hasard Balthasar… et vive la révolution marxiste «tendance Groucho»!
Serge Bressand
Les Marx Brothers par eux-mêmes, de Chantal Knecht. Robert Laffont.
Les Marx Brothers bientôt à la Cinémathèque !
«Une psychothérapie contre les cafards pandémiques» : voilà comment la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg a décidé d’appeler sa rétrospective dédiée aux Marx Brothers. Un titre inspiré d’un tout autre film, Hannah and Her Sisters, dans lequel l’hypocondriaque Woody Allen, tiraillé par de tenaces doutes existentiels, retrouve goût à la vie devant l’incontournable Duck Soup. Au programme, les cinq films du quatuor produits par la Paramount : The Cocoanuts (1929), Animal Crackers (1930) – deux films tirés des spectacles à succès des Marx Brothers à Broadway – Monkey Business (1931), Horse Feathers (1932), Duck Soup (1933), et le premier film de leur période chez MGM, A Night at the Opera (1935), qui est également leur premier film à trois, sans Zeppo. Iconoclastes d’anthologie, parasites de génie, géants du cinéma burlesque, ils seront donc sur grand écran… dès que l’épidémie de Covid-19 aura décidé de l’ouverture des salles. En effet, déjà annulée en décembre puis en janvier, cette compilation de six films espère se montrer en février. Le public, lui, attend, histoire de guérir, dans un rire cathartique, ces longs mois de tourments.