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[Critique cinéma] «The Instigators», ça passe ou ça casse


The Instigators

de Doug Liman

Avec Matt Damon, Casey Affleck, Hong Chau…

Genre comédie/action

Durée 1 h 41

Apple TV+

Moins de quatre mois après son remake de Road House (avec Jake Gyllenhaal et «The Notorious» Conor McGregor) pour Amazon, Doug Liman enchaîne sa tournée des services de streaming, à la recherche du «mojo» qui a fait de lui un grand nom du blockbuster américain.

Depuis l’éblouissant Edge of Tomorrow (2014), le réalisateur de The Bourne Identity (2001) vogue dans les flots du film de studio «mid-budget» avec scénario assorti, piloté à distance depuis des bureaux à Hollywood – et donc à la qualité conséquente, ou «conforme». Double coup de théâtre : Doug Liman nous avait laissés sur un boycott de son propre dernier film et une violente critique d’Amazon et du système de (non-)rémunération des artistes de Prime Video.

Il réapparaît sous la bannière d’Apple (l’autre A dans «GAFA»), récemment devenu un studio de cinéma lui aussi, quoiqu’un brin plus soucieux de l’environnement, et sans doute plus encore de ses talents. Ce qui tombe bien, puisqu’il peut compter avec ce nouveau film sur une joyeuse bande de vieux copains.

La course poursuite à mi-chemin de The Instigators, quasi-parodie d’une scène culte qui avait définitivement imposé Matt Damon dans le rôle de l’espion traqué Jason Bourne, confirmera alors deux autres vérités.

D’abord, que même les moins mémorables des associations Damon-Affleck (peu importe le frère) ne sauraient trop décevoir leur public. Ensuite, que le réalisateur, en roue libre dans la mise en scène et les choix de montage, a bien retrouvé un peu de force en se laissant embarquer du côté de leur éternelle Boston, où les histoires de maires corrompus, de délinquance omniprésente et de rédemption humaine sont le pain quotidien.

Matt Damon prête encore ses traits à un autre visage de l’antihéros ordinaire avec ce Rory, ex-militaire divorcé et sans ressources financières, qui tente de renouer avec son fils ; à ses côtés, Cobby (Casey Affleck) est un petit truand inoffensif et fraîchement sorti de prison.

Dans le milieu, on appelle ça des guignols. Et jamais, au grand jamais, on ne confierait à de tels zozos la tâche de dérober le coffre-fort contenant les donations en cash (faites sous la table) pour la soirée électorale du premier escroc de la ville, qui prévoit de rempiler au City Hall.

Et quand le plan à suivre à la lettre ne se passe à aucun moment comme prévu, les braqueurs «losers» se retrouvent sans fric, mais avec du beau monde à leurs trousses.

À aucun moment cette légère et oubliable sucrerie estivale ne prétend réinventer la roue, mais on sait Casey Affleck suffisamment habile en tant que scénariste (qu’il cosigne, non pas avec son compère à l’écran, comme il l’a déjà fait, mais avec le scénariste télé Chuck MacLean, un autre Bostonien) pour trouver du sens à l’aventure.

À commencer par la qualification même de «comédie de casse», ou «d’action». Son intrigue de film de braquage est pratiquement privée de ses moments rituels; les habituellement longues préparations du plan d’action laissent place à un montage de quelques secondes alors que le récit n’en est encore qu’à son exposition – si bien que, six minutes après le début du film, le braquage a commencé.

Mais là encore, le film, plutôt stationnaire, tient surtout ses promesses dans deux séquences à cent à l’heure, au milieu, donc, et à la fin. Restera malgré tout une image qui piquera la curiosité : celle d’une armoire blindée remplie d’argent sale, tombée du haut de la mairie et vers laquelle se précipitent les badauds, certains piétinant les agents de police affectés à la sécurité pour aller se servir en biftons. On en fera ce qu’on voudra.

The Instigators est en tout cas bien mieux desservi par la qualité de ses seconds rôles, une grande galerie composée de vrais méchants (Ron Perlman en maire républicain patibulaire, Ving Rhames en flic énervé qui ne se déplace qu’en… tank), de vrais gentils (Hong Chau en psy de Matt Damon, dont le rôle sera central dans la seconde moitié du film), et de vrais idiots dangereux (Jack Harlow, Alfred Molina, Michael Stuhlbarg).

Le plus gros des honneurs revenant de toute évidence au duo principal, dont l’alchimie à l’écran n’est plus à prouver : dans un script axé sur le dialogue et dirigé vers un «happy end» à la fatalité ironique, Damon et Affleck ajustent leur partition héritée du théâtre comique (via Francis Veber, un modèle pour les Américains), et dans la lignée de Jack Lemmon et Walter Matthau, duo comique majeur du cinéma américain des années 1960.

Même en pleine prise d’otage, chaque séquence est prétexte à d’incessantes conversations qui finissent en prises de bec; on n’éclatera peut-être pas de rire, mais on est assuré de sourire tout du long. Et bien que l’esprit classique hollywoodien reste inspiré de ce côté-ci, du grand Billy Wilder (réalisateur fétiche des films de Lemmon-Matthau), on ne nous sert que les restes…