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[Critique cinéma] «Tatami» : prises… de position


Une intrigue racontée pratiquement en temps réel, un format 1,33 étouffant, pas de musique ni d’extérieurs : les éléments de langage sont ceux du cinéma iranien. (Photo Metropolitan Filmexport)

Hasard du calendrier plus ou moins calculé, Tatami débarque comme un «uchi-mata» dans les salles luxembourgeoises mercredi prochain, dans un contexte post-olympique et paralympique.

Autre hasard (lui complet), cette œuvre, la toute première coréalisée par un Israélien, Guy Nattiv, et une Iranienne, Zar Amir Ebrahimi, avait eu sa grande première à la Mostra de Venise en 2023, soit un mois avant les attaques du 7 octobre et le début de la guerre Israël-Hamas. Deux événements qui offrent un écho encore plus grand au film, et pour cause : on y suit le parcours de Leila Hassani (Arienne Mandi), judoka prometteuse venue représenter la République islamique d’Iran aux Championnats du monde de sa discipline.

L’impressionnant parcours de la jeune femme, pourtant loin de partir favorite, risque de croiser sur le tatami le chemin de la (très forte) représentante israélienne. Ce qui pose problème à la fédération iranienne – à travers laquelle parle la voix du Guide suprême –, qui ordonne à Leila de se retirer de la compétition.

Une intrigue racontée pratiquement en temps réel, un format 1,33 étouffant duquel ressortent des contrastes tranchants, pas de musique ni d’extérieurs : les éléments de langage sont ceux du cinéma iranien. Le récit, lui, est à la fois familier et inhabituel pour ce pays où l’on censure et emprisonne ses cinéastes. L’injustice sociale, le sexisme et la violence subis par Leila viennent entraver aussi l’enjeu sportif, motif de fierté (nationale, même), mais qui apparaît dans un deuxième temps comme une version microcosmique et démilitarisée des rapports de force géopolitiques.

Une ambiguïté à fleur de peau 

Dans cette guerre froide (le noir et blanc n’est pas un caprice de cinéma), on est du côté de Leila; ses attentes et ses espoirs dépassent de loin la ligne rouge imposée par le régime, mais c’est bien elle qui, de loin, sur les tapis d’un dojo en Géorgie, le défie. Reste à savoir qui fera «ippon» le premier.

Car Leila est loin d’être la seule personne impliquée dans cette affaire qui n’a de cesse de faire grimper la tension : son envie de médaille d’or affecte tout autant son entraîneuse. À mesure que les «rounds» s’enchaînent, le regard des auteurs se desserre et, dans ce grand complexe sportif, entre les délégations brésilienne, française, israélienne ou hongroise, les Iraniennes gardent la même place dans le monde : à la vue et à la connaissance de tous, et pourtant complètement isolées.

Maryam Ghanbari, interprétée avec une ambiguïté à fleur de peau par Zar Amir Ebrahimi – la coréalisatrice, également directrice du casting, était déjà époustouflante dans Holy Spider (Ali Abbasi, 2022, prix d’interprétation féminine à Cannes) et Mon pire ennemi (Mehran Tamadon, 2023) –, est même le moteur qui pourrait, ou pas, stopper sa protégée dans sa séquence gagnante.

Héroïne malgré elle de ce thriller sportif, la judoka Leila vit un jour historique, mais pas celui dont elle a rêvé

Si les Iraniennes rentraient au pays avec une médaille d’or, «ça pourrait être un jour historique», s’enthousiasme Leila dès les premières minutes du film, auprès de Maryam. Héroïnes malgré elles de ce thriller rythmé par la neutralité répétitive des commentateurs sportifs (la seule musique que l’on entendra, ce sont les raps en persan de Justina, la sœur de Leila, qu’elle écoute au casque; pas besoin de sous-titres pour comprendre que les textes mettent aussi leur vie en danger), les deux femmes vivent en tout cas un jour historique pour elles, mais pas celui dont elles ont rêvé.

Celui où elles sont au contact de la communauté internationale qui peut, parfois, aider sincèrement son prochain, même si le prix à payer reste élevé. Et la tension de s’épaissir encore dans le choix de la liberté ou du respect sans compromis des valeurs qui les rendent humaines.

Un conflit trop grand pour elle

Les séquences de combat, scrutées au plus près du corps, ne manquent d’ailleurs jamais de renvoyer à ce fil ténu qui sépare la force de la fragilité. Arienne Mandi, actrice américaine d’origine iranienne (et force de la nature!), porte le film sur ses épaules qui semblent invincibles, et pourtant diminuées après chaque fissure, visible ou non.

Et tandis que le message politique, les enjeux scénaristiques, les partis pris esthétiques et de montage se lient dans un seul bloc narratif, c’est bien un renversement – littéral – dans la mise en scène qui enverra au tapis les craintes et les angoisses de l’héroïne, comme une obligation d’en finir avec ce conflit trop grand pour elle. Le judo, c’est bien la «voie de la souplesse», non?

Tatami de Guy Nattiv et Zar Amir Ebrahimi. Avec Arienne Mandi, Zar Amir Ebrahimi… Genre thriller/sport. Durée 1 h 43

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