Ce n’est encore que récemment que sortait sur les écrans L’Année du requin (Ludovic et Zoran Boukherma, 2022), une relecture décalée du chef-d’œuvre de Steven Spielberg Jaws (1975) : fausse parodie et vrai film de genre à visée satirique, cet ovni rappelait aussi qu’il était, croyez-le ou non, «le premier film de requin français» – donc, le pionnier d’un nouveau filon à exploiter. Et Netflix de s’engouffrer évidemment dans la brèche, en livrant une histoire de squale à la sauce Paris-2024. Qu’il tienne du navet assumé ou de la satire d’un rendez-vous olympique entouré de controverses, on s’imaginait mal bouder notre plaisir devant cette nouvelle itération du film d’horreur sous-marin; or, le film est tombé entre les mains de Xavier Gens, ce qui est rarement une bonne nouvelle. Présenté dans la bande-annonce du film comme le réalisateur de Farang (2023) et de la série Gangs of London (2020), plutôt estampillés action, le nom de Xavier Gens restera attaché, à l’échelle du cinéma de genre français, au nanar de compétition Frontière(s) (2007), avec sa surenchère de gore (objectivement sa seule qualité) et son casting en roue libre.
En retrouvant son vieux copain Yannick Dahan au scénario de Sous la Seine, Xavier Gens revient justement aux balbutiements de la nouvelle vague horrifique française apparue au mitan des années 2000 (la «French frayeur») en nous ressortant le package de rigueur : récit ultraprévisible et acteurs cabotins occupent toute la place dans ce nouvel exemple de cinéma de plateforme qui provoquera, au mieux, deux ou trois pouffements de rire au milieu d’un ennui (forcément) abyssal. La seule trouvaille du film – revendiquée jusque dans le titre – est son décor. Encore que, pour le voir enfin correctement exploité, il faut attendre les dix dernières minutes : les plus foutraques, mais également les seules qui frôlent l’accomplissement d’un vrai fantasme de cinéma.
Pour le reste, c’est «open bar». Entre un scénario aussi troué qu’un bout de gruyère et des dialogues surécrits, on finit même par se demander si les auteurs n’ont pas prêté leur nom à une collaboration entre l’intelligence artificielle et un enfant de quatre ans déjà réac. On parle pour ne rien dire au fil d’une histoire vue un millier de fois – et même l’efficacité de quelques séquences horrifiques filmées dans l’eau se retrouve minée par le besoin de blablater. Le meilleur exemple n’est pas sous l’eau, mais dans le bureau de la maire de Paris (Anne Marivin), une sorte de Valérie Pécresse moins le Xanax, qui lâche à ses collaborateurs, devant une immense maquette de la capitale : «Vous avez reconnu? C’est Paris…» Un autre pour le plaisir, cet automobiliste tombé dans la Seine à peine quelques heures plus tôt, et dont «on n’a jamais retrouvé» le corps…
C’est à se demander dans quelle mesure l’idiotie du film a été préalablement réfléchie
Plutôt que dresser une liste des incohérences du script, autant enfiler des perles. Entre un requin parti du Pacifique Sud pour visiter les Catacombes, à l’édile de la capitale (encore elle!) «invitée au journal de 20 h» mais qui, à 20 h pile, se trouve déjà à l’antenne en plein débat avec le journaliste, c’est à se demander dans quelle mesure l’idiotie du film a été préalablement réfléchie. C’est encore sans parler de ses héros transparents (Bérénice Béjo en scientifique dépassée par les évènements et Nassim Lyes en gentil chef de la gentille brigade fluviale) et d’un discours environnemental qui perd toute crédibilité dès l’apparition des militantes écologistes – des Greta Thunberg du dimanche, lesbiennes à cheveux bleus et ciré jaune, bien entendu.
Et les JO, dans tout ça? Encore une fois, la promesse est un leurre, et la sortie du film à six semaines de la manifestation cache à peine qu’il ne fait que surfer sur l’actualité – l’épreuve de la nage étant le prétexte ultime à un carnage final. Le requin aurait pu servir à une allégorie des torts et des scandales provoqués par la tenue des Jeux olympiques, et délivrer un message de bonne conscience écologiste, mais il n’est tristement qu’un requin. Et c’est tout juste si l’état du fleuve traversant Paris (parmi les eaux les plus polluées de France, faut-il le rappeler) est lui aussi mentionné. À toutes fins utiles, précisons que les premières versions de Sous la Seine prenaient place dans les jours précédant le défilé de la fête nationale; le film fait d’ailleurs actuellement l’objet d’une assignation en justice de la part d’un réalisateur qui dès 2014 avait imaginé une histoire similaire avec, déjà, les JO dans le viseur. Xavier Gens ayant été un temps protégé de Luc Besson, voilà qui en dit déjà long sur les mérites artistiques du réalisateur. De là à hériter aussi de son sens de l’éthique?
« Sous la Seine » de Xavier Gens
Avec Bérénice Bejo, Nassim Lyes, Anne Marivin…
Genre horreur
Durée 1 h 44