Suprêmes
d’Audrey Estrougo
Avec Théo Christine, Sandor Funtek…
Genre biopic
Genre 1 h 52
Alors que depuis deux ans, sa fin est officialisée (plus d’album, plus de concert), NTM n’a jamais été aussi présent. Un paradoxe qui s’observe sur petit et grand écrans : le groupe sera en effet au cœur d’une série d’ARTE (en association avec Netflix) l’an prochain, Le Monde de demain.
Plus qu’une mise en bouche, Suprêmes d’Audrey Estrougo, présenté au dernier festival de Cannes, fait de même : raconter la jeunesse du duo, des galères au succès. Soit, dans une avancée rectiligne, de ses débuts en 1988 en Seine-Saint-Denis jusqu’au légendaire concert au Zénith à Paris, en 1992.
Pour réussir son pari, la réalisatrice brouille les pistes. Supervisé par NTM lui-même, le film se définit comme une «fiction du réel». Un aspect documentaire qui s’observe par l’usage d’archives (subtilement insérées ou rejouées).
Pour le reste, toute l’histoire repose sur les épaules de deux jeunes comédiens qui, pour le coup, crèvent l’écran : Théo Christine et Sandor Funtek, respectivement dans les rôles de JoeyStarr et Kool Shen. Incarner cette bête à deux têtes n’a en effet rien d’une évidence, ne serait-ce qu’en raison de l’énergie créatrice (et parfois destructrice) qui l’anime.
NTM est la voix du soulèvement des banlieues françaises, sa colère, son éveil artistique
C’est d’ailleurs toute la force de ce film sous tension. C’est un fait, mais la folle trajectoire du groupe ne peut s’approcher qu’à travers une vision plus globale, à la fois culturelle et sociale : NTM est la voix du soulèvement des banlieues françaises, sa colère comme son éveil artistique.
Suprêmes commence d’ailleurs par une allocution de François Mitterand, alors président de la République : «Que peut espérer un jeune qui naît dans un quartier laid et sans âme?». De Sarcelles à Vitry en passant par Trappes, le paysage est le même : ça zone, ça fume, ça boit et la nuit, on part par vague dans le métro pour taguer les wagons. Laisser sa signature aux yeux de tous, et montrer que l’on est le meilleur.
NTM est né comme ça : un mélange de désœuvrement, de colère et d’affirmation, comme le montrent les premières scènes où l’on voit Solo et Rockin’ Squat, le duo d’Assassin, autre groupe pionnier qui «ose» chanter en français. Le rap n’en est qu’à ses balbutiements, tout comme le breakdance.
Mais JoeyStarr et Kool Shen veulent s’offrir une part de soleil, et après un premier show au Globo, salle mythique parisienne, plus rien ne sera comme avant… De tournées en MJC de province aux improvisations dans la cité, on suit alors le duo aux personnalités aussi dissemblables que possible.
D’un côté, Kool Shen (Bruno Lopes de son vrai nom), stylo en main et affreux mulet derrière la tête, le plus sérieux et le plus rigoureux, lui qui ne veut pas poser des «faux plafonds» toute sa vie. De l’autre, JoeyStarr (Didier Morville), turbulent, voleur et sauvage, porté les drogues et vivant dans la rue depuis que son père, un brin tyrannique, lui a tourné le dos – un rapport douloureux que le rappeur cherchera à combler tout au long du film. Entre les deux, on trouve toute une bande de potes, indissociables de NTM, et deux producteurs tout aussi disparates : Franck Chevalier et Sébastien Farran.
De la dynamique chaotique du groupe à l’énergie des concerts (sans playback s’il vous plaît!) en passant par le déclin du punk, Suprêmes file à une vitesse folle, au point que l’on aurait aimé que ça se poursuive encore un peu à l’apparition du générique de fin (où s’enchaînent les morceaux en mode medley).
Mais malgré cette avancée au pas de charge, le film reste pertinent, notamment à travers ses parallèles sociopolitiques. Il parle de violence urbaine, de police, de racisme, d’emballement médiatique… Finalement, si le rap est devenu mainstream (c’est la musique la plus écoutée en France), certaines choses, elles, ne bougent pas et restent en l’état aujourd’hui.
Résonne alors un autre tube de NTM, Plus jamais ça (1995), avec son refrain au goût bien amer : «Mais on est tous las de ce retour au même schéma.»
Grgéory Cimatti