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[Critique cinéma] «How to Have Sex» : mon premier, c’est désir


How to Have Sex

de Molly Manning Walker

Avec Mia McKenna-Bruce, Lara Peake, Enva Lewis…

Genre drame

Durée 1 h 31

Art de l’illusion, le cinéma est un territoire propice au déchaînement des passions et des fantasmes. Dans ce domaine, on peut citer Harmony Korine parmi les plus brillants (dans tous les sens du terme) filmeurs-raconteurs du XXIe siècle, avec Spring Breakers (2012) comme pierre angulaire de son CV d’artiste : une expérience sensorielle guidée par la descente aux enfers de quatre filles, au milieu d’une semaine de fête et d’excès.

À l’opposé de ce spectre, et de l’autre côté de l’océan, Molly Manning Walker s’empare de la même esthétique clinquante, éclairée aux néons, dans How to Have Sex. À son tour, la jeune cinéaste anglaise répond à l’héritage social du cinéma de son pays, en posant sur Tara (Mia McKenna-Bruce), Skye (Lara Peake) et Em (Enva Lewis) un regard quasi documentaire, amenant cette vieille tradition sur un nouveau chemin.

«Girls just wanna have fun» : c’est, peu ou prou, l’idée qui traverse le film, avec ces trois adolescentes parties fêter la fin de leurs examens dans une station balnéaire en Crète. Le temps de déposer leurs affaires à l’hôtel, et les voilà métamorphosées en «24-hour party people». Elles dorment peu, boivent excessivement et se nourrissent principalement de frites au fromage.

Pour elles, ce voyage est un moment spécial : elles vivent en vrai le «best summer ever» des films américains. Un «spring break» à l’européenne, un rite de passage qui revêt une signification particulière pour Tara, la plus petite et la plus énergétique du groupe, qui n’a pas encore perdu sa virginité.

Point d’extérieurs baignés de soleil ici, ni de vues magnifiques du bord de mer. Molly Manning Walker enferme ses personnages dans un décor coupé de l’horizon, de l’hôtel avec «vue sur piscine» à la rue principale du village touristique, au bout de laquelle se dresse une imposante montagne.

C’est un microcosme déconnecté, où l’on fuit le monde réel et ses angoisses (les résultats des examens, l’inquiétude des parents) en finissant par perdre le sens de la réalité. On s’enferme dans la moiteur des clubs ou dans l’inconfort d’une chambre d’hôtel pas assez grande et on n’approche la plage que de nuit. C’est justement sur le sable que se joue la scène qui fait basculer le film, mais dans le noir quasi complet, l’auteure reste au plus près de Tara, laissant la mer hors champ.

Avec ses héroïnes encore mineures, qui s’habillent et se maquillent de sorte à «faire 18 ans», la réalisatrice examine avec une grande finesse les obligations sociales et leurs mécanismes à l’approche de l’âge adulte. Le titre How to Have Sex prend bien entendu à rebrousse-poil son sous-entendu éducatif.

Molly Manning Walker se fait témoin silencieuse, raconte le sexe en évitant de le montrer et filme Tara avec sensibilité et bienveillance. À travers elle, la cinéaste révèle le poids des injonctions en laissant deviner la fragilité d’une amitié «éternelle», puis questionne le consentement.

C’est sur elle que la caméra de Molly Manning Walker se fixe dans la seconde moitié du film qui, sous des airs de gueule de bois géante, reprend la suite d’une première partie électrisante en laissant planer les silences.

C’est le langage corporel qu’observe maintenant la réalisatrice, ce qui se passe dans les gestes, le regard, les prises de parole, après que Tara, qui a disparu une nuit entière, fait son retour à l’hôtel. Le moindre mouvement prend un sens; dans l’œil de l’auteure, on y ressent les expressions de la détresse, de la honte, de l’inconfort, mais aussi de l’apaisement, au détour d’une séquence très tendre avec le voisin de chambre Badger (Shaun Thomas).

Molly Manning Walker aime ses personnages, tous criants de vérité et interprétés par d’éclatantes révélations. En guise de cadeau d’adieu à Tara, qui s’apprête à reprendre l’avion avec ses «best friends forever», la cinéaste lui offre une prise de conscience, une possibilité de guérison, afin qu’elle parvienne un jour à dire tous ces mots que Walker a pris soin de ne pas inclure dans le scénario, et qui sont pourtant si cruciaux.