The Tragedy of Macbeth
de Joel Coen
Avec Denzel Washington, Frances McDormand, Alex Hassell, Brendan Gleeson…
Genre drame
Durée 1 h 45
Trois siècles séparent l’écriture de Macbeth de l’invention du cinéma; pourtant, chaque lecture, chaque nouvelle création et – forcément – chaque adaptation pour l’écran ne peut se soustraire à la puissance visuelle de la pièce, inhérente à son imaginaire fantastique, et que seul le septième art peut cristalliser dans toute sa splendeur, dans toute sa folie.
Si elle reste, 400 ans plus tard, l’une des pièces les plus jouées et les plus adaptées de William Shakespeare, c’est parce qu’elle est, par essence, la plus libre d’interprétation, tant dans la trame que dans la mise en scène. Ainsi, la tragédie du thane de Glamis promis au trône d’Écosse – et qui l’obtient par la violence, avec un lourd tribut à payer – a enflammé l’imagination des plus grands maîtres du cinéma, d’Orson Welles à Akira Kurosawa, en passant par Roman Polanski. Jusqu’à Joel Coen, qui en revient à l’essence, y compris dans son titre : The Tragedy of Macbeth.
On peut s’étonner que, pour son premier film en solo, Joel Coen s’éloigne autant de l’œuvre exubérante, baroque et férocement américaine qu’il construit depuis près de 40 ans avec son frère, Ethan.
À y regarder de plus près, on constate qu’il y a plus d’une réincarnation de Macbeth dans la galerie déjantée des personnages des frères Coen. Le personnage est le gangster originel, que son avidité du pouvoir transforme en monstre, la folie se chargeant de ronger ce qui reste de non criminel en lui.
Le choix de le mettre en scène est somme toute assez logique : l’ADN de Macbeth s’est retrouvé chez les Coen dans le Jerry Lundegaard de Fargo (1996), la Marylin Rexroth d’Intolerable Cruelty (2003), le Goldthwaite H. Dorr de The Ladykillers (2005) ou à peu près tous les personnages de Burn After Reading (2008).
Sans oublier le plus «Macbethien» de tous, le maître chanteur Ed Crane, prisonnier de son propre piège, dans The Man Who Wasn’t There (2001). Joel Coen n’aurait sans doute jamais fait Macbeth avec son frère; seul, il donne une clé fondamentale d’une œuvre construite à deux.
Ainsi, le film s’éclaire à la lumière de leur cinéma noir et poisseux – avec Blood Simple (1984), Miller’s Crossing (1990) ou No Country for Old Men (2007) – auquel ils ont toujours porté un certain degré d’exigence.
Ceci est d’autant plus vrai que The Tragedy of Macbeth est réduit à l’os : aux acteurs, donc, de délivrer le texte d’origine de Shakespeare, quand le metteur en scène s’occupe de le traduire en images. Coen tourne dans un format 1.37:1, légèrement plus large que le carré 4:3, qui fut le format standard de l’âge d’or hollywoodien, celui des films noirs de Fritz Lang et du Macbeth magistral d’Orson Welles (1948) – qui ont été de toute évidence d’une influence déterminante – avec lequel il enferme, écrase et conserve les personnages dans leur propre folie.
Le noir et blanc, lui, est parfaitement brossé, prouvant s’il le fallait encore que les Coen sont de rares exemples de cinéastes actuels sachant maîtriser la technique : les apparitions acrobatiques des Trois Sorcières (jouées par la brillante actrice de théâtre Kathryn Hunter), la traversée du couloir avant le meurtre du roi Duncan, l’assassinat de Banquo ou encore la marche somnambule de Lady Macbeth sont autant d’instants cauchemardesques auxquels contribuent, aussi, les contrastes tranchants et les jeux d’ombres angoissants.
Évidemment, le film doit énormément à la volonté de rester fidèle au texte de Shakespeare, et, donc, à la qualité de ses interprètes. Là encore, aucun faux pas, puisque le couple Macbeth est joué par rien moins que les deux meilleurs acteurs américains en activité, Denzel Washington et Frances McDormand, tous deux complètement habités.
Si le verbe reste inchangé (à deux ou trois détails près), Joel Coen relit le «Barde» à la lumière d’un couple qui n’a plus beaucoup de temps devant lui, donnant à voir d’un autre œil leurs plans machiavéliques pour étancher leur soif de pouvoir, mais aussi leur plongée dans la démence.
En accord avec cela – mais aussi avec sa vision mi-expressionniste, mi-minimaliste –, le cinéaste garde la bataille finale hors-champ et fait s’affronter Macduff et Macbeth sur les hauteurs d’un rempart étroit. La caméra est débullée et l’issue, dans l’histoire comme dans le décor, inexistante. Alors on périt un dernier geste que l’on croit rassurant : Coen capture tout Shakespeare en un plan.
Joel Coen n’aurait sans doute jamais fait Macbeth avec son frère; en solo, il donne une clé fondamentale d’une œuvre construite à deux.