The Lost Daughter, de Maggie Gyllenhaal. Avec Olivia Colman, Jessie Buckley, Dakota Johnson…
Je ne dirais jamais à une réalisatrice : « Ceci est mon livre, c’est mon point de vue. Si tu veux en faire un film, tu dois y être fidèle. »» Ainsi commençait le texte de l’une des rubriques que la romancière italienne Elena Ferrante tenait chaque semaine dans le quotidien britannique The Guardian.
Dans cet éditorial, elle réagissait à l’annonce par l’actrice Maggie Gyllenhaal de son adaptation, pour ses débuts en tant que scénariste et réalisatrice, du roman Poupée volée (2006), livre auquel l’auteure se disait «particulièrement attachée» : «Je sais qu’avec lui, je me suis aventurée dans des eaux hostiles sans bouée de sauvetage», écrivait-elle.
Et de bénir la requête de Maggie Gyllenhaal en se félicitant qu’«une autre femme (ait) trouvé dans ce texte une bonne raison de tester ses capacités créatives» en «donnant une forme cinématographique, non pas à mon expérience du monde, mais à la sienne».
En résumé, Elena Ferrante consent à ce que les femmes cinéastes adaptent librement et selon leur ressenti ses romans, quand elle tend plutôt à demander aux réalisateurs «de respecter (son) point de vue, d’adhérer à (son) monde, d’entrer dans la cage de (son) histoire». L’écrivaine défend ainsi le besoin, pour les artistes femmes enfermées «dans la cage masculine depuis trop longtemps», d’être «absolument autonomes» et de «ne pas rencontrer d’obstacles, en particulier quand (leurs œuvres) sont inspirées par le travail et la pensée d’autres femmes».
Un film riche en observations, réflexions et mystères
Le texte d’Elena Ferrante est paru en octobre 2018, au moment où Maggie Gyllenhaal venait de boucler la première épreuve du scénario de The Lost Daughter (qui est aussi le titre anglophone du livre); à l’évidence, les mots de la romancière ont pesé sur le projet, tout au long de sa réalisation.
D’un roman assez court – environ 150 pages –, la réalisatrice tire donc un film de deux heures, riche en observations, réflexions et mystères, et économe en mots. On y découvre Leda (Olivia Colman), professeure de littérature et traductrice à l’approche de la cinquantaine, partie seule sur une île grecque pour des «vacances de travail».
Elle partage son temps entre le balcon de son appartement, le restaurant où elle mange seule (quand elle pense à manger) et la plage, où elle passe les après-midi sur une chaise longue, occupée à lire et à écrire. Jusqu’à ce qu’une famille américaine nombreuse – et mafieuse – vienne briser le calme qu’elle était venue chercher.
Dans cette tribu envahissante, c’est Nina (Dakota Johnson), jeune mère aux cheveux de jais, et sa fille qui fascinent Leda. Un jour, la petite Elena disparaît; Leda la retrouve, mais à leur retour, c’est la poupée fétiche de la fillette qui est introuvable…
La maternité, épreuve complexe et angoissante
Actrice au talent immense, Maggie Gyllenhaal seconde ainsi, pour ce premier long métrage, les recommandations d’Elena Ferrante; autrement dit, elle suit son propre instinct, et se laisse porter par ce que le récit soulève en elle comme interrogations.
The Lost Daughter mérite d’être remarqué pour la façon dont il aborde son thème principal, la maternité comme épreuve complexe et angoissante, tant pour une jeune femme (Nina ou Leda, dans sa vingtaine lorsqu’elle a eu deux filles) que pour une personne plus âgée (l’envahissante et bruyante vacancière, enceinte pour la première fois à 42 ans).
En supprimant le tabou qui entoure le sujet, la réalisatrice s’aventure sur les pentes ardues du thriller psychologique. Un pari plutôt réussi, et qui repose pour beaucoup sur la composition de la toujours brillante Olivia Colman, qui déambule ici comme un fantôme, elle-même hantée par d’autres chimères. On la regarde – mieux : on l’admire – la gorge serrée.
Un choix esthétique regrettable
Jessie Buckley, qui, dans une série de flash-back dévoilant une partie du mystère, interprète une Leda jeune et à fleur de peau, est tout aussi éblouissante, tandis que Dakota Johnson, assez méconnaissable, décuple le sentiment d’asphyxie, d’enfermement et d’aliénation partagé par la protagoniste.
Le choix esthétique de composer le film dans sa quasi-totalité de gros, voire très gros, plans, est cependant assez rapidement regrettable. Malgré une équipe technique irréprochable – la Française Hélène Louvart à la photographie, le collaborateur de Jim Jarmusch et Todd Haynes, Affonso Gonçalves, au montage – et un parti pris aux raisons évidentes, c’est une ligne directrice qui rend, trop tôt, le film pénible à regarder. Et qui gâche l’expérience…
Valentin Maniglia