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[Critique ciné] «The Exorcist : Believer» : la croix… et la bannière


Jason Blum, à la tête de ce qui est devenu un véritable empire, s’est assuré quoi qu’il arrive que The Exorcist : Believer aura bien deux suites, pour former, à l’instar de Halloween, une nouvelle trilogie. (Image Universal Pictures)

Fan éclairé du film de William Friedkin, David Gordon Green s’attelle à un reboot respectant le matériau d’origine mais qui se conforme aux codes de l’horreur «mainstream».

Peu de temps avant de disparaître cet été, à l’âge de 87 ans, William Friedkin aurait confié à un ami écrivain, à propos de la réalisation de la suite et «reboot» de son film le plus fameux : «Je ne veux pas être là quand cela arrivera. Mais s’il existe un monde des esprits, et que je peux revenir, j’envisage de posséder David Gordon Green et de faire de sa vie un enfer sur terre.» Le réalisateur pouvait bien se permettre de faire la langue de vipère : avoir changé à jamais le cinéma policier (The French Connection, 1971) et le genre de l’horreur (The Exorcist, 1973) ne l’a pas protégé de la dépossession pure et simple, par les studios, de son chef-d’œuvre crépusculaire Sorcerer (1977).

Sa méfiance du système hollywoodien, intrusif et arbitraire, s’en voit finalement bien fondée. Comme la saga Halloween, The Exorcist a connu ses suites avant que la série soit revue et corrigée (on ne sait pas très bien pourquoi) par David Gordon Green – le seul opus réussi, après l’original, étant aussi le plus obscur : Dominion, préquelle du film de Friedkin réalisé par une autre tête connue du Nouvel Hollywood, Paul Schrader.

Un matériau d’origine trop imposant et impressionnant

On ne peut pas enlever à David Gordon Green qu’il est un fan éclairé de The Exorcist. Pour preuve, le respect du matériau d’origine, dont il fait preuve ici. Un matériau, peut-être, trop imposant et impressionnant, qui affirme encore, cinquante ans après sa sortie, être un phénomène unique. Le réalisateur, que l’on admire surtout pour être l’une des pierres angulaires de la nouvelle satire américaine aux côtés de ses collègues Danny McBride (coscénariste des trois derniers Halloween et qui a contribué à l’écriture de The Exorcist : Believer) et Jody Hill, avec qui il a fondé la société Rough House Pictures, tient à s’imposer comme l’architecte de la résurrection à notre époque des grands titres du cinéma d’horreur américain.

Un coup bien calculé grâce à un partenariat avec Blumhouse, la société de production principalement versée dans le genre horrifique qui a révolutionné l’industrie avec son modèle économique «microbudget pour maxiprofits». Jason Blum, à la tête de ce qui est devenu un véritable empire, s’est assuré quoi qu’il arrive que The Exorcist : Believer aura bien deux suites, pour former, à l’instar de Halloween, une nouvelle trilogie.

Dernière victime en date de l’horreur « mainstream » à la sauce Blumhouse, The Exorcist : Believer se conforme aux mêmes codes qui décrédibilisent le genre

Mais alors que la saga initiée par John Carpenter en 1978 profitait, pour son lifting en trois étapes, de la participation active de ce dernier (à la musique, notamment, mais aussi d’une aide précieuse dans l’écriture du Halloween de 2018) et de son actrice star, Jamie Lee Curtis, on peine à rattacher The Exorcist : Believer au film de William Friedkin et à son univers. Réactualiser les codes du «slasher» est, à n’en pas douter, une entreprise plus amusante à mettre en œuvre que de s’approcher du film d’horreur définitif.

David Gordon Green fait l’erreur de s’inspirer de Friedkin, qui faisait planer une aura terrifiante sur tout le film pour montrer l’horreur avec parcimonie, mais avec une force de frappe à vous en fracturer net la rétine. L’horreur «mainstream» qui est l’apanage des sagas ressuscitées par Blumhouse, et dont The Exorcist est la dernière victime en date, doit malheureusement se conformer à des codes – ceux-là mêmes qui décrédibilisent le genre dans son entièreté, à commencer par une overdose de «jump scares».

Nostalgie mal placée

Le traitement particulier réservé à Ellen Burstyn finit d’enterrer le film. L’actrice, qui reprend à cinquante ans de distance le rôle de Chris MacNeil, est un clin d’œil plus qu’autre chose. Alors que Jamie Lee Curtis est revenue du côté de Halloween pour s’emparer à nouveau du premier rôle, celle qui jouait la mère de Regan, la petite fille possédée, dans le film de Friedkin, est ici réduite à l’état d’objet pour un réalisateur qui, bien que gratifié de sa présence exceptionnelle (Ellen Burstyn avait toujours refusé d’apparaître dans les suites de The Exorcist), ne s’intéresse jamais à elle, autrement que pour déclencher chez le spectateur de la nostalgie mal placée – jusqu’à une apparition finale qui serait le dernier clou sur le cercueil.

La perplexité qu’on éprouve tout au long de cette histoire, qui met en scène deux familles voisines dont les filles sont possédées, est peut-être celle qu’a éprouvée le réalisateur lui-même face à cet objet sans grand intérêt. En attendant les deux prochains… Voilà ce qu’il se passe quand on vend son âme au diable.

The Exorcist : Believer de David Gordon Green. Avec Leslie Odom Jr., Ann Dowd, Ellen Burstyn… Genre horreur. Durée 1 h 51