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[Critique ciné] Swallow, de Carlo Mirabella-Davis


Swallow est porté par l’interprétation stupéfiante de Haley Bennett, pour la première fois en haut de l’affiche.(Photo : DR)

Après avoir eu une belle vie de festivals (une année entière, où il a été montré sur tous les continents), Swallow aura vu sa seconde vie rattrapée par la fermeture des salles.

Car en effet, si l’on souhaitait voir le premier film de Carlo Mirabella-Davis au cinéma, hors festival, cela n’était possible… qu’en France, où le film est sorti en janvier dernier avec, d’ailleurs, un succès public plutôt remarquable (plus de 20 000 entrées en première semaine pour 52 salles). Même aux États-Unis, son pays d’origine, le film n’a pu profiter de sa distribution, elle-même limitée à quelques salles, qu’une semaine à peine avant que les cinémas ne ferment leurs portes. C’est donc en VOD que l’on peut découvrir dès à présent, au Luxembourg comme ailleurs, ce thriller tragicomique aux accents hitchcockiens.

«To swallow», en anglais, signifie «avaler». Le verbe qui donne son titre au film est lié au trouble alimentaire que développe Hunter (Haley Bennett), la protagoniste, une jeune femme fraîchement mariée, enceinte et quelque peu forcée, par son mari, le riche homme d’affaires Richie (Austin Stowell), de jouer les bonnes femmes au foyer, de celles qui doivent se taire quand les hommes parlent. Pourtant, Hunter, dont l’activité quotidienne se résume plus ou moins à tuer l’ennui qu’elle est obligée de cultiver dans sa prison dorée, va trouver un moyen de s’évader de son quotidien morne en avalant, en cachette, des objets dangereux…

Un portrait de femme déconcertant

Portrait de femme déconcertant, mais sans aucun doute l’un des plus puissants de l’histoire récente du cinéma, Swallow ne cache pas vraiment ses références. Hitchcock, Cronenberg, Jane Campion et d’autres encore sont convoqués dans le long métrage de Carlo Mirabella-Davis. Ce dernier, scénariste et réalisateur, y ajoute – et c’est la grande force du scénario – une dissection intelligente du «malaise dans la civilisation» qui retourne contre Freud le sentiment de culpabilité en transformant la maladie de son personnage (le pica, un trouble du comportement alimentaire dont les causes sont encore mal comprises) en l’expression, en apparence absolue, de l’affirmation de soi.

Le pica, par ailleurs, est loin d’être un comportement exclusif aux femmes, mais, appliqué à l’héroïne, il permet au script de confronter le danger physique dans lequel elle se place et le danger moral d’accepter une condition de vie fétide qui bafoue son libre arbitre. Et l’auteur du film de présenter, avec, comme arme, un humour noir décapant, la physiologie du comportement de la société patriarcale, dont l’opulence et l’élégance apparente n’ont d’égale que la décrépitude des idées. La séquence, au début du film, du repas dans un restaurant chic que le couple partage avec les parents du jeune marié, ou encore le personnage de Luay (Laith Nakli), un garde du corps à l’aspect de gros Serbe musclé et austère, engagé pour surveiller Hunter, en sont deux exemples formidables.

Inspiré par le trouble obsessionnel compulsif qu’avait développé sa grand-mère (ce qui lui a valu d’être ensuite internée et soumise à un traitement de choc, puis une lobotomie), Carlo Mirabella-Davis, dont le film révèle un univers visuel saisissant, renverse les codes du thriller avec Swallow. La situation de départ, pointée du doigt comme anormale, est tout à fait acceptée et courante dans toutes les sociétés du monde occidental et au-delà, et le cinéaste n’a même pas besoin de forcer le trait pour le faire comprendre. De cette anomalie ordinaire naîtra ainsi la déviance au cœur du film, vue par les personnages «normaux» comme dangereuse (comprendre : la paille dans l’œil du voisin). Elle révèlera à son tour un mystère vers lequel la trame s’engouffre fatalement et qui, lui, est tout aussi réel mais ne donne plus du tout envie de rire.

Porté par l’interprétation stupéfiante de Haley Bennett, pour la première fois en haut de l’affiche, et dont la beauté, l’élégance et le style de jeu renvoient aussi bien à Cate Blanchett, Michelle Williams et Carey Mulligan qu’aux icônes du cinéma d’Hitchcock Joan Fontaine dans Rebecca (1940) et Tippi Hedren dans Marnie (1964), Swallow règle son compte une bonne fois pour toutes aux circonstances, aux détails et aux conséquences du patriarcat, de son introduction bizarrement étouffante à son final libérateur.

Valentin Maniglia