Le premier film de la dramaturge Jessica Swale, Summerland, raconte l’amour, l’espoir et la magie dans un petit village côtier du sud de l’Angleterre. Un joli film porté par une Gemma Arterton remarquable.
Quand la magie s’invite dans le monde, il faut savoir s’y offrir. Surtout quand elle apparaît dans les paysages superbes d’un village en bord de mer, dans le comté de Kent. Comme dans Un chant de Noël de Charles Dickens, ou dans le très beau The Man Without a Face réalisé par Mel Gibson (1993), la magie naît de la monstruosité, du dégoût. Ici, Ebenezer Scrooge est une femme : Alice Lamb (Gemma Arterton), écrivaine misanthrope qui habite une maison isolée en haut des blanches falaises battues par les vagues de la Manche. Dans le village, on la surnomme «la sorcière», un sobriquet qui inspire moqueries et mépris de la part des plus grands, et terreur chez les plus petits. Mais une sorcière et une fée, n’est-ce pas au fond la même chose ?
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Alice doit accueillir chez elle un jeune garçon, Frank, qui a dû évacuer Londres à cause du Blitz. Une punition pour tous les deux. Pendant que Frank est à l’école, Alice, elle, travaille à sa thèse universitaire sur le phénomène de la «Fata Morgana», un mirage que l’on peut apercevoir au bord de la mer. Et, alors qu’elle se lie d’amitié avec le garçon, défilent devant elle les images de son amour perdu, Vera, une jeune écrivaine rencontrée des années plus tôt, qui a mis fin abruptement à leur idylle. « Je n’ai pas lu (le scénario) avec ma casquette d’actrice mais celle de productrice », déclarait dans une interview Gemma Arterton, qui donne au personnage d’Alice une dimension remarquable.
Rayonnante dans les flash-back, où l’on reconnaît la «James Bond girl» de Quantum of Solace (Marc Forster, 2008) ou la pétillante journaliste de Tamara Drewe (Stephen Frears, 2010), elle passe la plupart du film à user d’un air aigri, aidée par un maquillage et une perruque qui lui ajoutent un teint miné par la vie et quelques années de plus. Jessica Swale, la réalisatrice et scénariste, n’avait pas imaginé l’actrice de 35 ans pour le personnage d’Alice mais une comédienne plus âgée.
Égalité des sexes, des sexualités, des races : sans jamais le manifester haut et fort, Jessica Swale fait avec Summerland un véritable film progressiste
« Elle m’a dit : “Pourquoi ne réécrirais-je pas Alice en changeant légèrement l’histoire pour que tu puisses la jouer ?” », révélait Gemma Arterton au sujet de celle qu’elle côtoie depuis cinq ans, lorsque la pièce Nell Gwynn, écrite et mise en scène par Jessica Swale, a quitté la scène du Shakespeare Globe pour celle de l’Apollo Theatre, dans le West End, avec une nouvelle distribution, Arterton en tête. Pour la réalisatrice, « l’une des raisons pour lesquelles Gemma voulait jouer Alice était parce qu’il s’agit d’un rôle dans lequel on n’a pas l’habitude de la voir. Il aurait été très facile de faire qu’Alice colle plus aux choix habituels de Gemma, mais en réalité cela l’aurait discréditée en tant qu’actrice, et l’histoire aurait été moins intéressante ».
L’histoire, elle, contient tout ce que l’on attend de la comédie dramatique à l’anglaise tous publics, pleine de bonnes intentions : de l’amour, des images élégantes (le travail de Laurie Rose, fidèle chef-opérateur de Ben Wheatley), un peu de poésie et de magie, une pincée d’humour… Mais Summerland est aussi un film qui voit se rencontrer énormément de thèmes plus inattendus, abordés avec beaucoup de justesse par la dramaturge qui signe ici son premier film. Elle y parle d’homosexualité féminine, de croyances païennes et de vieux folklore anglais, ou encore de la situation de ces réfugiés londoniens qui, souvent, sont retournés dans la capitale pour y découvrir une ville en ruines. Pour Jessica Swale, l’importance du projet résidait dans l’envie de « faire un film qui capture un peu de cette magie (…) , pour qu’il offre plus que ce que l’on peut voir tous les jours de nos propres yeux ». Et d’ajouter : « Pour (Summerland), j’ai commencé en me demandant : (…) “Que fait le cinéma ?” Je ne voulais pas raconter une histoire tellement proche de la réalité qu’elle n’aurait aucune raison d’être vue sur un grand écran. Pourquoi donc ne pas prendre avantage de cette géniale forme d’art qui montre la vraie vie et plus encore ? On peut y explorer la magie et l’imagination. »
C’est un film qui sied bien à notre période : s’il se déroule au début des années 1940, les idées qui le rappellent à notre réalité, 80 ans plus tard, ne sont pas anodines. Égalité des sexes, des sexualités, des races : sans jamais le manifester haut et fort, Jessica Swale fait avec Summerland un véritable film progressiste, comme elle l’avait déjà fait avec Nell Gwynn , dont elle avait confié le rôle, dans sa première version au Shakespeare Globe, à l’actrice d’origine sud-africaine Gugu Mbatha-Raw (celle-là même qui joue Vera dans Summerland). Et entend bien réitérer le geste rapidement, en préparant une série télé, un projet encore « secret », de son propre aveu, mais qui la verra collaborer à nouveau avec Gemma Arterton. « Jessica Swale et moi avons commencé à écrire un nouveau projet ensemble, qui est brillant. Je n’avais jamais écrit auparavant, donc ça a été vraiment formidable de s’y mettre », s’est réjouie l’actrice.
Valentin Maniglia