Des histoires dysfonctionnelles de ses débuts, on découvre de plus en plus un Christophe Honoré qui fait dans la névrose. Son douzième long métrage, Chambre 212, en est l’expression parfaite, réduite à son plus simple appareil.
Deux intérieurs, l’un est un appartement de Montparnasse, l’autre une chambre d’hôtel qui lui fait face. Dans le premier vivent Maria (Chiara Mastroianni) et Richard (Benjamin Biolay), en couple depuis longtemps. Trop longtemps, même. À tel point que l’homme en est devenu passif, presque mutique, et la femme, libre. Elle enchaîne les amants, lui la laisse faire, en se rebellant de manière un peu stupide, ridicule, comme lorsqu’il jette son téléphone dans la machine à laver après avoir intercepté un message de l’un de ses jules. Alors Maria décide de quitter leur antre, sans prévenir, et s’installe dans l’hôtel en face, chambre 212. Là, elle fait une rencontre inattendue : Richard, celui-là même qu’elle vient de quitter, mais à vingt ans (Vincent Lacoste).
On est bien loin des chefs-d’œuvre bouleversants de Bergman, mais Christophe Honoré persiste et signe dans sa position de cinéaste de chambre, tendance mélodrame. Chambre 212 (coproduit au Luxembourg par Bidibul Productions) est, soyons clairs, son film sur la crise de la cinquantaine, qu’il construit, comme à son habitude, sur des références culturelles qu’il cite et accumule jusqu’à l’indigestion. Il y a du Rohmer dans les dialogues, du Resnais dans le propos (le parallèle entre l’amour et le temps qui passe), du Demy dans les décors, du Godard dans la technique. Et comme souvent chez Honoré, le tout résulte en une sorte de parodie de cinéma d’auteur français tel qu’on peut le voir caricaturé, par exemple, dans les séries ou les films américains: on parle beaucoup. Tout le temps, en fait. On fume, aussi. Le film, à l’esthétique pourtant superbe, empile les clichés jusqu’à en faire, dans son agaçante lourdeur, son charme suranné.
Si le regard de Christophe Honoré sur la Nouvelle vague traverse tout son cinéma, c’est dans son rapport aux acteurs que cette filiation est la plus réussie, et avec Chambre 212, il en fait même un postulat. Les personnages sont écrits sur mesure pour le quatuor d’acteurs, avec des paramètres bien définis pour deux duos croisés. Le réalisateur donne à ses acteurs masculins la possibilité de jouer la peur, l’amour, la comédie, l’ennui, la tendresse; les actrices, elles, répondent par les émotions inverses: l’insouciance, la liberté, l’ironie, le désir. Tout s’oppose, tout se complète.
Au centre du tableau, c’est une Chiara Mastroianni magistrale qui, pour la première fois, joue avec force d’âme une croqueuse d’hommes indocile et bourrée de mauvaise foi. Une autre référence, qui renvoie à l’image de séducteur qui a longtemps collé à la peau du propre père de l’actrice, le grand Marcello. À ses côtés, une Camille Cottin troublante dans la peau d’Irène, l’amour de jeunesse de Richard, qui apparaît à Maria dans la chambre 212 pour ensuite traverser la rue qui sépare les deux lieux de vie comme l’Achéron sépare le monde des vivants et l’enfer. Dans l’appartement de Richard, et sous les yeux de Maria, elle, qui n’a pas changé depuis plus de vingt ans, devient une Anna Karina à l’aise dans son pull en cachemire turquoise et ses bottes en cuir marron, aussi séduisante qu’inquiétante.
Récit on ne peut plus parisien des vicissitudes de la vie de couple, le film sait aussi jouer de son ambiance intrigante et absurde, à la limite de l’onirique ou du fantastique. Des personnages morts ou irréels apparaissent à Maria (sa mère ou encore sa volonté, qui prend les traits d’un imitateur de Charles Aznavour), mais on pense moins à Stephen King qu’à Bertrand Blier, tant ces moments comptent parmi les plus drôles du film, d’un humour insolent. C’est quand, dans sa dernière partie, tous les éléments de ce puzzle amoureux hors du commun finissent par se mettre en place que le film devient réellement fascinant (avec, notamment, un face-à-face inattendu entre Chiara Mastroianni, Camille Cottin et Carole Bouquet). Dommage qu’il faille supporter difficilement la première heure pour en arriver là.
Valentin Maniglia
Chambre 212
Avec : Chiara Mastroianni, Vincent Lacoste, Camille Cottin, Benjamin Biolay…
Genre : Comédie dramatique
Durée 1 h 26
À l’affiche actuellement du Ciné Utopia à Luxembourg