Hollywood a beaucoup pleuré, cette année, sur son sort – et à raison – mais il n’a pas fallu longtemps pour que l’usine à rêves, capitale de l’arrivisme, du buzz et des gros sous-sous se remette d’aplomb. Et de l’annoncer avec le moins de finesse possible.
Songbird, disponible en VOD, se la joue agressif et tient à ce que l’on sache qu’il est le premier film sur le Covid (ce qui est faux bien sûr : Borat 2, tourné en plein confinement et avec le coronavirus comme sujet principal, est sorti le mois dernier), écrit en trois jours et tourné en deux semaines au mois de juillet, dans un Los Angeles déserté pour cause de confinement. Aux manettes du projet, le pape du manque de délicatesse, l’inénarrable Michael Bay, qui soutient l’un de ses nombreux poulains anonymes, ici le Britannique Adam Mason, qui émule tellement le style de son producteur que l’on s’attend à tout moment à voir débarquer des Transformers.
La crise sanitaire que connaît le monde depuis un an maintenant est une tragédie aux enjeux infinis. Pour autant, et indépendamment du nombre toujours plus alarmant de contaminations et de décès liés au virus, l’argument du «c’est trop tôt» ou la dénonciation de l’opportunisme dans le choix de capitaliser sur une actualité encore chaude n’est pas et n’a jamais été valable, si tant est que l’on accepte qu’un(e) cinéaste sache s’emparer du sujet de manière intelligente. Et il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre que les atours de blockbuster de ce «thriller pandémique» n’ont pas pour objectif de faire entrer Songbird dans le haut du panier, mais plutôt d’aller rejoindre la reprise «all-star» d’ Imagine et la rime riche «coronavirus / connard de virus», signée Renaud, au palmarès 2020 des grands moments de malaise.
La description que fait le film d’un monde ravagé par le Covid dans un futur proche (l’année 2024) ne manque pourtant pas d’intérêt : la maladie a muté en Covid-23, beaucoup plus dangereux, notamment parce qu’il se transmet dans l’air. La population de Los Angeles vit ainsi confinée depuis quatre ans, doit prendre sa température tous les matins à heure fixe, et gare à qui est soupçonné d’être contaminé : en moins de deux, l’agence sanitaire, une sorte de Gestapo de la santé, débarque pour emmener de force les malades dans une zone de quarantaine férocement gardée, semblable à des camps de la mort. Dans cette dystopie, il y a, forcément, un héros : Nico (KJ Apa), un coursier beau gosse, pro du VTT, immunisé contre le virus – on le reconnaît à son bracelet jaune – et essentiel au scénario, puisqu’il fait partie des rares personnes à être autorisées à circuler dehors. Sa copine, elle, est confinée avec sa grand-mère, mais le prince charmant lui promet, du haut de sa monture Décathlon, qu’il viendra la sauver pour s’échapper à Big Sur, plus au nord, où le taux d’infection semble s’être arrêté.
Songbird tient à ce que l’on sache qu’il est le premier film sur le Covid, tourné en deux semaines dans un Los Angeles déserté pour cause de confinement
De toutes les possibilités qui s’offraient à lui dans un récit futuriste qui cristallise toutes les peurs et les incertitudes d’aujourd’hui, Adam Mason a sans doute choisi la pire. En lieu et place du portrait de la société entièrement remodelée par l’urgence sanitaire, balayé en quelques minutes, Songbird n’en a que pour son protagoniste aussi profond qu’une flaque d’eau (c’est aussi le cas pour tous les autres personnages) et qui n’est convaincant que quand il exhibe son torse musclé, ce qui lui a sûrement été demandé dans son contrat.
L’histoire principale ayant à peu près autant d’intérêt que les théories complotistes autour du vaccin, le réalisateur dégaine alors sa carte secrète : une galerie de personnages secondaires tente de porter le vide intersidéral du sujet vers une plus attendue réflexion sociale et politique. Avec Paul Walter Hauser (le Richard Jewell de Clint Eastwood), on rencontre un vétéran de l’Afghanistan dont la crise sanitaire n’a fait qu’amplifier le stress post-traumatique de la guerre. Le couple formé par Demi Moore et Bradley Whitford met en avant une bourgeoisie corrompue qui se fait du chiffre sur le dos des malades en organisant un trafic de faux bracelets d’immunité. Le personnage de la musicienne (Alexandra Daddario), qui donne, confinée, des concerts sur Zoom, permet au scénario de toucher à la fois aux règles sanitaires et à #MeToo, avec une scène de sexe dérangeante, rare moment où le film met dans le mille. Et quand la scène de sexe est le moment le plus réussi d’un film, ça n’est jamais bon signe. Sans parler du grand méchant (Peter Stormare), qui complète le manichéisme complaisant de Songbird. Toutes les sous-intrigues révèlent un univers plus riche qu’il n’y paraît, mais le film n’en a que faire : péniblement liées à l’histoire principale avec des ficelles aussi grosses que dénuées de sens, elles auraient pu être la force d’un film qui va chercher plus loin que son sujet, mais ne sont finalement guère plus que l’agrément qui permet à cette série B de piètre qualité de remplir l’heure et demie qui lui a été imposée. Et vous pensiez que 2020 était un cauchemar ?
Valentin Maniglia