En France, le changement, c’est maintenant. Enfin presque. C’est en tout cas dès à présent que l’on place ses pions pour la course à la présidentielle, le sort de l’Hexagone sera fixé dans un peu moins d’un an. Avec, paraît-il, un second tour Macron-Le Pen, que tout le monde annonce mais dont personne ne veut. Ce qui augurerait donc, toujours «selon les sondages», arbitres de la société du spectacle politique, aussi artificiels que le sont les promesses électorales, que le fascisme serait aux portes de l’Élysée. Alors, pour Anne Fontaine, la solution est de contrer ce que l’on ne désire pas avec une chose ce que l’on désire encore moins, et qui n’est pas Manuel Valls. La réalisatrice franco-luxembourgeoise part donc sur une étrange utopie : à l’heure où gauche et droite agonisent, elle réunit dans son fantasme cinématographique les derniers piliers des deux partis historiques, les ex-présidents Nicolas Sarkozy (Jean Dujardin) et François Hollande (Grégory Gadebois), alliés dans un combat contre l’extrême droite.
Avant toute chose, Présidents est le reflet d’une étrange manie, typiquement française : celle du «c’était mieux avant», soit la constatation que le monde va de plus en plus mal, et que donc, en comparaison, on peut jeter un regard affectueux sur ce qui était déjà déplorable des années plus tôt. Aucun mot, donc, sur l’attitude «bling bling» ni sur les fameux «travailler plus pour gagner plus» et «casse-toi pauvre con» de l’un, ni sur la ligne politique vaguement de gauche et la création des ZAD et du mouvement Nuit debout pour l’autre. Tout juste Nicolas – les personnages ne sont désignés que par leur prénom –, cible facile, a-t-il droit à une remarque sur ses comptes de campagne quand les deux compères discutent recherche de financements : il sera préposé à la levée de fonds, lui qui «s’y connaît si bien». On préférera à ce gag la plus subtile passion de Nicolas pour les aspirateurs, le retraité ayant remplacé le Kärcher par la gamme Dyson. Ou celle de François pour le saxophone, jolie référence à un autre président «de gauche» d’abord adulé puis largement critiqué, Bill Clinton. Ou encore toute scène impliquant le garde du corps de Sarkozy (Jean-Charles Clichet, second rôle déjà génial dans la série Ovni(s)), personnage lunaire et philosophe, fou de Scrabble et adepte du Bushido.
On regarde ces deux hommes comme on vote : pour ce qu’ils paraissent être et non pour ce qu’ils représentent
Anne Fontaine avait toutes les cartes en main pour faire reconnaître leurs torts à ses protagonistes, et ainsi tirer de son négationnisme positif un discours sérieux derrière la farce. À cela, elle a préféré les caricaturer à outrance : Jean Dujardin imite Jean Dujardin qui imite Sarkozy, mais à ses côtés, Grégory Gadebois s’en sort plutôt bien en François Hollande, le capital sympathie du vrai «président normal» aidant à croire au ressort comique qui veut que seul, derrière des portes closes, il est capable de piquer des colères inqualifiables. Au-dessus du duo plane à l’évidence l’ombre écrasante de De Funès et Bourvil, avec un Nicolas calculateur, fourbe et égoïste et un François gentil, honnête et droit (et, donc, constamment pris pour un con). L’intention est claire : on ne rit pas d’eux – comme Thomas Vinterberg nous avait invités à le faire dans Drunk, en compilant des images de chefs d’État européens, dont «Sarko», en mauvaise posture – mais avec eux. On s’amuse de leurs plans sur la comète mijotés depuis une petite bourgade de Corrèze, terre des présidents français, le tout engraissé par des gags et joutes verbales taillés pour le canapé rouge de Michel Drucker. Bref, on regarde ces deux hommes comme on vote : pour ce qu’ils paraissent être et non pour ce qu’ils représentent.
Dans ses vingt dernières minutes, pourtant, la cinéaste parvient à faire pencher la balance en révélant d’autres intentions. La farce est évidente pour tous, même à l’intérieur du film, et les femmes entrent en scène : Nathalie (Dora Tillier) est chanteuse d’opéra et passe son temps à faire ses vocalises, Isabelle (Pascale Arbillot) est vétérinaire. Le choix de changer leur véritable nom est aussi motivé par ce que ces personnages féminins ont de lucidité sur leurs hommes et leur épopée de gentils «losers». Elles sont là depuis le début mais prennent toute leur ampleur dans le dernier acte, instigatrices d’un éveil citoyen et, au passage, doucement féministe, pas inintéressant mais qui arrive trop tard, et qui n’évite pas une conclusion molle et attendue. Le vote, dans l’Hexagone, est mal en point, on l’a vu avec le taux d’abstention historique d’environ 66 % aux deux tours. Le système continue de l’ignorer, et Anne Fontaine pourrait continuer à livrer des farces politiques que cela n’y changerait rien. Mais si la cinéaste devait avoir une leçon à tirer de cela, c’est que parfois, s’abstenir est la meilleure option.
Valentin Maniglia
« Présidents » d’Anne Fontaine
Avec Jean Dujardin, Grégory Gadebois, Dora Tillier, Pascale Arbillot…
Genre Comédie
Durée 1 h 40