Cette semaine, Petite fille, de Sébastien Lifshitz. Le plus beau morceau de cinéma que l’on pourra voir cette année.
C’est une œuvre délicate, qui tire du réel la poésie d’une histoire comme il en existe bien d’autres, invariablement contées sur le ton du drame. C’est un film important, qui se refuse à tous les écueils dans lesquels tombent – souvent parce qu’ils se soucient trop de les éviter – tous les autres récits cinématographiques qui prennent pour sujet l’identité trans. C’est l’histoire d’un combat noble, celui d’une petite fille qui veut s’affirmer mais à qui l’on s’oppose, d’abord et avant tout parce qu’elle ne serait pas en âge de mener sa lutte; alors les parents, peut-être plus crédibles aux yeux de notre société étriquée, la mèneront, eux, pour et avec elle.
Sasha a 7 ans, elle est une petite fille qui aimerait bien être comme les autres. C’est simple : née garçon, sa dysphorie de genre est ce pour quoi elle existe, et c’est cela même qu’on lui conteste. Le droit d’exister. Pendant un an, d’une rentrée scolaire à l’autre, Sébastien Lifshitz a mis Sasha au cœur de son film. Elle illumine le cadre à chacune de ses apparitions, comme par magie, sans jamais (ou presque) dire un mot. Les mots, pourtant, sont les armes nécessaires pour affronter la société. Sasha les a, mais elle ne veut pas, ne peut peut-être pas encore, non plus, s’en servir. Mais lorsqu’en face, d’autres utilisent leurs mots à eux contre elle, Sasha est heurtée. Alors ce sont ses parents, sa mère en particulier, qui tenteront d’imposer les mots de Sasha aux autres, retournant leurs armes contre eux.
Du haut de ses 7 ans, Sasha parle des langages qui sont l’apanage du meilleur cinéma
Au-delà de la relation entre Sasha et sa famille, son soutien premier, indéfectible dans ce chemin long et difficile à traverser, et du refus des institutions de considérer qu’elle est bien une petite fille, c’est tout le processus narratif qui resplendit : Sébastien Lifshitz a emmagasiné toutes ces informations et, dans un geste cinématographique fort, montre qu’elles existent sans s’obliger à les expliquer. Ni le harcèlement à l’école ni la réticence moralement violente de l’Éducation nationale envers la situation de Sasha. Tout au plus entend-on verbaliser à de rares reprises, et dans le contexte de visites chez une spécialiste, des exemples du quotidien difficile de Sasha à l’école ou dans ses activités périscolaires, marqués par une transphobie ordinaire, dont un renvoi de son cours de danse, de la façon la plus révoltante qui soit.
Ce sont des choses que l’on ne peut éviter, qui replacent une réalité qui existe partout et à laquelle on ose trop peu s’opposer. Mais ce n’est pas le sujet du film : son sujet, c’est Sasha. Du haut de ses 7 ans, elle parle des langages qui sont l’apanage du meilleur cinéma. Celui des émotions, d’abord, celles-là même qu’elle s’interdit de montrer, jusqu’à craquer. Puis, surtout, celui du corps, ce corps qui est à la fois une force et un problème, ce corps qui est celui d’une fille qui joue au garçon voulant devenir une fille lorsqu’elle est au conservatoire (ou, on l’imagine, à l’école), et qui redevient sien à la seconde même où elle est libérée des carcans d’une société qui réprime, justement, son corps. Et dans l’amour bienveillant de sa famille, révèle son identité. Le plus beau morceau de cinéma que l’on pourra voir cette année.
Valentin Maniglia