Cette semaine, la critique porte sur One Night in Miami, une production Amazon Prime Video réalisée par Regina King, avec Kingsley Ben-Adir, Eli Goree, Aldis Hodge, Leslie Odom Jr… Un drame d’une durée de 1 h 54.
Certaines rencontres auraient pu changer le cours de l’histoire. C’est le rôle de la fiction de questionner ses propres fantasmes et leurs conséquences sur le monde. Quand le dramaturge américain Kemp Powers écrit la pièce One Night in Miami…, jouée pour la première fois en 2013, la rencontre entre Malcolm X, Cassius Clay, Sam Cooke et Jim Brown est avant tout le récit d’un instant suspendu dans le temps, à un moment charnière de la vie des quatre protagonistes. Aujourd’hui portée sur le grand écran – le film est sorti sur Amazon Prime Video le 15 janvier – l’histoire imaginée de cette nuit qui, selon Kemp Powers, a réellement eu lieu, résonne différemment après quatre années de Donald Trump, de #MeToo et de Black Lives Matter. Cette nuit n’aurait rien changé à l’assassinat de Sam Cooke quelques mois plus tard, ni à celui de Malcolm X, quasiment un an jour pour jour après cette nuit. Mais elle met à plat des réalités contradictoires, parfois irréconciliables, relatives à ce que cela signifie d’être une personne noire en Amérique, depuis les mouvements civiques jusqu’à aujourd’hui.
«Les Noirs meurent chaque jour», désespère Malcolm, incarné avec une retenue remarquable par Kingsley Ben-Adir (qui vient d’interpréter, dans la minisérie The Comey Rule, un certain Barack Obama). La réplique est assénée comme un coup de marteau. C’est un fait de notoriété publique qui, formulé avec des mots simples, exprime la peur et justifie la colère, que n’adoucit pas la liesse générale de cette nuit du 25 février 1964. Ce soir-là, quelques heures plus tôt, Cassius Clay devient champion du monde de boxe, catégorie poids lourds, en mettant à terre Sonny Liston, détenteur du titre depuis deux ans. Dans le public, l’activiste Malcolm X, le chanteur Sam Cooke et le footballeur Jim Brown, champion NFL cette année-là. Les quatre icônes se retrouveront ensuite dans une chambre du Hampton House, un motel de Miami fréquenté par la communauté noire. Plus qu’une célébration de la victoire du jeune boxeur de 22 ans, cette nuit sera l’occasion pour chacun de partager ses opinions sur son rôle, en tant que personnalité influente, dans le combat pour les droits civiques.
Star de la série Watchmen et Oscar 2019 du meilleur second rôle pour If Beale Street Could Talk, Regina King passe pour la première fois derrière la caméra, à 50 ans, pour donner vie à cette rencontre mythologique exaltée par une palette de couleurs pop. Kemp Powers, également auteur du scénario (et coréalisateur du dernier long métrage Pixar, Soul), y introduit quelques-uns de ses fantasmes, en inventant par exemple que Malcolm X aurait joué un rôle dans l’écriture de A Change Is Gonna Come, titre engagé de Sam Cooke sorti en mars 1964. Mais lorsque la réalité est inventée, elle l’est toujours pour servir le discours de fond. À eux quatre, ils représentent toute la complexité des différents courants de pensée qui allaient être au cœur des luttes internes du Black Power. D’un côté, la pensée fondamentale de Malcolm X, radicale et retentissante aussi, que suit Cassius Clay, de l’autre, l’engagement profond mais plus discret de Jim Brown et Sam Cooke. C’est à partir de là que naissent les conversations qui tantôt développent, tantôt remettent en cause la philosophie des courants à l’intérieur du mouvement pour les droits civiques, avec, en toile de fond, le désir, pour Malcolm X, de trouver des voix puissantes qui puissent soutenir publiquement sa cause.
La religion, l’un des sujets de discorde des personnages, est surtout vue par Regina King et Kemp Powers à travers sa dimension spirituelle, donnant au quatuor de quoi rêver à un monde meilleur. C’est ce que la réalisatrice décrit dans la rencontre initiale entre Clay et Malcolm X, qui se retrouvent avant le combat pour prier (Clay annonce le lendemain matin sa conversion à l’islam et qu’il faut désormais l’appeler Mohammed Ali), et c’est aussi ce qui anime l’envie de chanter de Sam Cooke, qui fait entonner Chain Gang à son public quand son micro ne fonctionne plus : le chant d’esclaves devenu un tube se transforme en gospel, et Sam Cooke en pasteur prêchant à sa paroisse de fans. Avec quatre icônes comme protagonistes et un scénario principalement axé sur le dialogue, One Night in Miami est un merveilleux film d’acteurs, où chacun développe son personnage sur un ton à la fois intime et militant. Tous y sont éclatants et se tiennent la dragée haute à tour de rôle, pour une nuit rêvée que l’on ne veut pas imaginer autrement.
Valentin Maniglia
Star de la série Watchmen, Regina King passe pour la première fois derrière la caméra, à 50 ans, pour donner vie à cette rencontre mythologique exaltée par une palette de couleurs pop