Une grande fable sur le temps, sous couvert de science-fiction et d’horreur, aux niveaux d’interprétation multiples. M. Night Shyamalan revient avec Old, dans lequel on retrouve la Luxembourgeoise Vicky Krieps.
Revenu en force en 2015 avec The Visit, film d’horreur minimaliste et palpitant qui a mis fin à plusieurs années de disette artistique pendant lesquelles il a tenté l’expérience – malheureuse – du blockbuster criard, M. Night Shyamalan a su bien assurer ses arrières depuis. Maître du twist final (The Visit en était l’une des meilleures démonstrations), il s’est essayé avec Glass (2019), œuvre semi-réussie et quelque peu opportuniste, à un exercice de style inédit : tirer un film entier à partir du retournement de situation de son immense prédécesseur, Split (2016). De nouveau sur le devant de la scène, il livre cet été son quatorzième film, Old, grande fable sur le temps sous couvert de science-fiction et d’horreur.
Au départ, il y a Château de sable, la bande dessinée du Suisse Frederik Peeters et du Français Pierre-Oscar Lévy, sortie en 2010. L’histoire d’un groupe de touristes bloqués sur une plage, vieillissant inexplicablement à vitesse grand V. De l’œuvre originelle, Shyamalan tire les grandes lignes de l’histoire et reprend la dynamique entre les personnages, mais l’adaptation fait plutôt office d’inspiration en ce qui concerne le riche sous-texte du film. On découvre donc Guy (Gael Garcia Bernal), Prisca (Vicky Krieps) et leurs deux enfants, Trent et Maddox, Charles (Rufus Sewell), Chrystal (Abbey Lee) et leur fille Kara, Jarin (Ken Leung) et Patricia (Nikki Amuka-Bird), tous en vacances dans un hôtel tropical, qui se rencontrent dans le bus qui les emmène de l’hôtel à une superbe plage secrète, dans une réserve naturelle, conseillée par le directeur de l’établissement. Sur place, ils trouvent le rappeur Mid-Sized Sedan (Aaron Pierre), attendant seul le retour de sa compagne, partie nager; quand le corps de la jeune femme est découvert, inerte, tous les soupçons sont tournés vers lui. Mais rapidement, d’autres évènements inexplicables se produisent : les enfants grandissent à vue d’œil, les adultes vieillissent et développent des maladies…
Sur un scénario qui évoque la série The Twilight Zone, Shyamalan prétend développer une réflexion sur le temps qui passe. À 50 ans, le scénariste et réalisateur qui s’attache à donner de la place à l’émotion derrière l’horreur dit avoir voulu développer cette idée après avoir vu ses propres parents vieillir, une manière de conjurer le sort. Plus tôt dans sa carrière, The Sixth Sense (2000) et The Village (2005) exploraient déjà la mort et le deuil; avec Old, il poursuit en quelque sorte ce même travail. Raconteur et metteur en scène de talent, il sait captiver l’attention du spectateur dans une histoire qui révèle pourtant assez vite ses faiblesses narratives : déroulement ultradidactique de la trame, anticipation trop facile des séquences clés, scène finale qui laisse un goût d’inachevé et personnages caricaturaux et interprétés à la truelle (le fossé entre un Rufus Sewell cabotin ou un Gael Garcia Bernal amorphe et une excellente Vicky Krieps dans le rôle difficile de la mère victime est impressionnant). La photographie, vrai point fort de l’œuvre, n’en sera pas moins déconcertante, regorgeant d’angles de prise de vue et de mouvements de caméra inhabituels. Mais Shyamalan tient son cap : il garde suffisamment de mystère et pimente son film à l’aide de quelques séquences horrifiques remarquables pour tenir le spectateur en haleine.
Old est donc un film d’horreur imparfait, mais c’est oublier que Shyamalan a l’habitude de revisiter une vieille recette : envisager son cinéma d’épouvante comme une fable aux niveaux d’interprétation multiples. L’objet filmique vaut plutôt comme du cinéma d’ambiance, plutôt que de simple divertissement. C’est un film sur le temps, oui. Mais il s’agit surtout d’un film qui porte le constat d’un monde pressé, et, donc, d’une population qui n’a plus la notion du présent. La privation de téléphones portables, poncif du cinéma d’horreur, n’est plus un élément scénaristique mais porte une véritable opinion sur la façon dont on veut occuper, ou gâcher, son temps. De même, le cinéaste assène un coup au tourisme de masse, moins catalogué comme vacances que comme produit de consommation vite digéré et oublié.
Habitué à apparaître dans ses films, M. Night Shyamalan endosse dans Old le rôle du chauffeur de bus qui emmène les personnages vers la plage interdite. On le voit surtout les emmener vers leur propre mort, délivrant par la même occasion une réflexion sur son rôle de cinéaste. Dans la dernière partie du film, on le retrouve en prélude à un twist dont lui seul a le secret et qui réserve, lui aussi, quelques piques cinglantes. Dans un plan à la Hitchcock (Shyamalan, comme le James Stewart de Rear Window, est derrière un appareil photo à l’objectif gigantesque, observant les personnages se battre pour leur survie), il résume son état d’esprit et donne un coup de coude à l’industrie américaine qui produit des mastodontes à la chaîne. Pour Hollywood, le temps, c’est de l’argent. Pour Shyamalan, c’est tout autre chose…
Valentin Maniglia