Cette semaine, Mandibules, une comédie de Quentin Dupieux, avec David Marsais, Grégoire Ludig, Adèle Exarchopoulos…
D’abord, une précision s’impose : aborder une œuvre de Quentin Dupieux n’a rien d’une évidence. Lui qui, dans ses œuvres, fait l’apologie de l’idiotie ne s’est jamais mis à la portée de tous. Attention, ce n’est pas un geste prétentieux. C’est juste celui d’un créateur libre. À prendre ou à laisser!
Sa filmographie témoigne bien de son penchant pour l’absurde et de son amour pour les figures boiteuses, qu’il plonge dans un bain surréaliste : on l’a vu raconter les aventures d’un pneu psychopathe (Rubber), d’un homme qui cherche son chien (Wrong), d’un autre obsédé par sa veste (Le Daim), d’un réalisateur en quête du meilleur gémissement de l’histoire du cinéma (Réalité), sans oublier sa propension pour la fantaisie policière (Wrong Cops, Au poste!).
On l’aura compris : comme lorsqu’il se met aux platines sous le nom de Mr. Oizo, le barbu espiègle n’essaie pas de plaire à tout le monde. Avec lui, certains iront s’éclater sur la piste, d’autres resteront au bar. Une dispersion qui s’observera, une nouvelle fois, avec Mandibules, son huitième film, pourtant l’un des plus abordables, même si le synopsis peut refroidir : soit deux losers qui tentent de dresser une mouche géante…
En en disant si peu sur ses intentions, Quentin Dupieux, 47 ans, laisse alors toute la place à son imagination débridée, son esthétisme léché, ses blagues potaches, ses mises en abyme extravagantes et ses personnages décalés, lunaires, touchants. C’est le cas de ce duo franchement simplet, mais terriblement attachant.
Un road trip burlesque
On découvre alors Jean-Gab et Manu, aussi benêts que Jim Carrey et Jeff Daniels dans Dumb and Dumber (1994). Sans le sou, ils ne rechignent pas à accepter n’importe quel plan foireux, comme celui d’aller chercher et livrer une mystérieuse valise. C’est là, dans le coffre d’une voiture volée, qu’ils découvrent une mouche XXL, sorte de grosse marionnette articulée à l’ancienne qu’ils décident d’apprivoiser, de dresser et d’utiliser comme un drone pour gagner de l’argent.
S’ensuit alors un road trip burlesque, dans des paysages aux faux airs de Far West. Dans cette Côte d’Azur chaude, poussiéreuse et à l’imagerie surannée, ils tombent sur un ermite en caravane (Bruno Lochet), avant, à la suite d’une méprise, de trouver compagnie auprès d’une bande de jeunes fortunés (Adèle Exarchopoulos, India Hair, le chanteur Roméo Elvis…).
Mandibules ne tient sûrement pas à la qualité de ses dialogues, les deux nigauds loqueteux ponctuant leurs discussions par des «yes», «cool», «putain», «ouais», célébrant dès qu’il se peut leur fraternité d’un signe de ralliement personnel, leurs mains s’encornant sur un complice «taureau».
Un bal d’excentricités
Entre gimmicks et jeux de mots foireux s’impose surtout le tandem comique du Palma Show, David Marsais et Grégoire Ludig, très populaire après de la génération YouTube. Un choix qui rappelle la passion affichée du cinéaste inclassable pour un cinéma bête et absurde, comme celui des frères Zucker, des Farrelly, et leurs héritiers qu’il se plaît à mettre en scène : Alain Chabat, Éric et Ramzy, Jean Dujardin (période Nous Ç Nous), Benoît Poelvoorde…
Sans oublier, dans ce bal d’excentricités, d’autres incarnations surprenantes, comme c’est le cas ici d’Adèle Exarchopoulos, en jeune femme atteinte d’un trouble du langage qui l’empêche de s’exprimer sans crier… Une belle prestation qui en ramène à une autre, remarquée, dans La Flamme, série parodique de Bachelor, où elle joue une gardienne de zoo à laquelle on a implanté un cœur de singe.
Mandibules, un brin plus sage et léger que les autres films de Quentin Dupieux (il n’y a pas de mort grotesque à l’écran) s’amuse donc une nouvelle fois de rien, ou de si peu. Mais derrière le vélo-licorne ou le «grillz» (NDLR : prothèse dentaire décorative en or ou argent) se cache, en creux, une ode à l’amitié, contre le mépris de classe et pour ceux que l’on n’écoute pas parce qu’ils n’ont pas les codes pour parler.
«Bienheureux les simples d’esprit», disait Guy de Maupassant, expression détournée dans un nouveau pied de nez qui s’impose jusque dans le titre : les mouches n’ont en effet pas de mandibules.
Grégory Cimatti