À la vision de Malignant, il apparaît évident que la créativité de James Wan a été fortement frustrée par les épisodes Furious 7 (2015) et Aquaman (2018).
De petit roi du cinéma d’horreur indépendant – avec les prodigieux Saw (2004), Insidious (2010) et The Conjuring (2013), tous devenus des franchises parmi les plus lucratives du genre –, il a été propulsé à la tête d’énormes machines à billets verts, empruntant au passage des méthodes de travail radicalement différentes. Coincé entre une «Marvelade» sous-marine et sa suite, il prend le temps pour un retour aux sources des plus curieux, tourné en catimini avant la pandémie et sorti au Luxembourg et en Europe sans aucune promotion, avant même sa distribution américaine la semaine prochaine. En résumé, une vraie surprise derrière laquelle on sent néanmoins poindre la crainte d’un ratage en beauté.
On reste en terrain connu : un couple, une maison, des manifestations surnaturelles… Le prologue de Malignant coche toutes les cases du savoir-faire de James Wan, qui concocte sa recette habituelle, assaisonnée comme à son habitude avec des angles de caméra inspirés par Hitchcock et des «jump scares» à retardement qui fonctionnement toujours comme par magie. Mais le réalisateur n’a pas encore posé les bases de son histoire, celle de Madison (Annabelle Wallis), en proie à des visions cauchemardesques de meurtres sanglants. Ceux-ci n’existent pas que dans sa tête : ceux qu’elle voit mourir dans ses rêves sont véritablement victimes de la présence démoniaque qui la tourmente.
Le film d’horreur classique ne suffisait peut-être plus au réalisateur, qui s’octroie ici toutes les libertés, qu’il s’agisse de se refuser aux canons du genre ou de sortir, de la façon la plus extravagante qui soit, de sa zone de confort. Reconnaissons donc le mérite qu’a James Wan de proposer une œuvre complètement libre, dans laquelle il a mis, selon ses propres dires, «tout ce qui se trouve dans (sa) tête de réalisateur». Autrement dit, à boire et à manger : du gore, de la science-fiction et du polar comme composantes d’un film d’horreur hybride, «nanar» autoparodique à l’esthétique digne d’un téléfilm du dimanche après-midi dans sa première moitié, basculant ensuite vers un déchaînement de folie qui voit le cinéaste partir véritablement en roue libre, abandonnant toute notion d’écriture, de cohérence et de finesse.
On finit par regarder Malignant passivement, pour ce qu’il est : un truc tellement ridicule qu’il en devient drôle
À l’instar d’Insidious, qui laissait le spectateur s’imprégner doucement de l’ambiance inquiétante du film de maison hantée pour renverser le postulat de départ en devenant une histoire de possession, ou de Saw, dont les dernières minutes restent parmi les plus marquantes de l’horreur contemporaine, Malignant a droit à son retournement de situation qui redistribue les cartes. À la différence près que l’on voit venir celui-ci de très loin. Ce n’est pas tant que les indices laissés dans ce jeu de piste mental soient soulignés, mais les intrigues parallèles et secondaires sont tellement dénuées d’intérêt que l’on se raccroche très vite à ce qui mérite le minimum d’attention. Les acteurs poussent leurs jauges à l’extrême, dans l’exagération totale ou l’absence de charisme; l’intrigue policière est un supplice; la musique, pourtant composée par l’habituel Joseph Bishara, abandonne les accents expérimentaux, proches du «sound design», de ses précédentes collaborations avec James Wan pour des compositions catastrophiques, ultraenvahissantes et mixées trop fort, avec, comme clou du spectacle, une reprise «electro-industrielle» de Where Is My Mind? des Pixies qui frise le comique de répétition… La liste de ce qui ne va pas se remplit si vite que l’on finit par regarder Malignant passivement, pour ce qu’il est : un truc – plus qu’un film – tellement ridicule qu’il en devient drôle.
Mais le renversement au milieu du film, bien que prévisible, est tout de même bien mené et prouve deux choses. D’une part, que James Wan n’a pas tout à fait perdu la main dès lors qu’il s’agit de pousser sa créativité dans ses derniers retranchements, et d’autre part, qu’il assume, par ce moment pivot et tout ce qui viendra après, son film comme une comédie horrifique bouffonne. Ses évidentes références sont là pour le souligner, des grands thrillers de Brian De Palma – Sisters (1973), Carrie (1976), Dressed to Kill (1980) – aux séries B stupides et racoleuses des années 1980, en passant par Possession (Andrzej Zulawski, 1981) : tout ici est caricaturé pour le plaisir de l’esbroufe, achevé par des séquences de massacres ruinées par des effets numériques indigestes. En cette période de rentrée des classes, Malignant ressemble surtout à un mauvais mot d’excuse pour signaler une absence : personne ne tombe dans le panneau, mais le geste est appréciable.
Valentin Maniglia
Malignant de James Wan
Avec Annabelle Wallis, Maddie Hasson, George Young…
Genre horreur
Durée 1 h 51