Été 85, le 21e long métrage de François Ozon, sort ce mercredi en salle. Une histoire d’amour euphorique et solaire pour un film que son auteur aurait sans nul doute aimé voir, adolescent, au cinéma.
En 1985, François Ozon a dix-sept ans et est déjà passionné de cinéma. Il tourne quelques films en amateur, avec une caméra Super 8; une passion qui va l’amener, à peine trois ans plus tard, à réaliser ses premiers courts métrages et s’inscrire en fac de cinéma. Mais durant cet été 1985, Ozon met la main sur un livre, Dance on My Grave (La Danse du coucou, en français), écrit par l’Anglais Aidan Chambers et publié en 1982.
«Un coup de foudre» selon le cinéaste, qui découvre une œuvre où l’émotion découle de la simplicité de l’histoire et où l’homosexualité – encore illégale en Grande-Bretagne à l’époque où Chambers écrit son livre – des deux protagonistes n’a pas besoin de justification. Car ce n’est ni un acte militant ni une provocation, encore moins un ouvrage destiné à être vendu dans la seule librairie gay de Londres: c’est une histoire d’amour comme il en a été raconté des millions pendant des siècles.
Trente-cinq ans après être, à son tour, tombé amoureux des deux personnages créés par Aidan Chambers, Ozon se les réapproprie dans Été 85, qui déplace sa trame sur le bord de la même mer, de l’autre côté de la Manche, en Normandie. On y fait la connaissance d’Alexis (Félix Lefebvre), seize ans, qui manque de se noyer après que son bateau à moteur s’est retourné.
Il est sauvé par David (Benjamin Voisin), dix-huit ans, qui le ramène chez lui. Une amitié se noue entre les deux garçons, qui va vite tourner à l’histoire d’amour. Pressé par ses parents – et par l’impitoyable questionnement que l’on se pose à son âge: «qu’est-ce que je vais faire quand je serai grand?»– entre continuer le lycée ou choisir un travail, Alexis profite surtout de l’été pour travailler dans le magasin de pêche de la mère de David et nouer avec lui des liens encore plus forts. L’amour dépeint dans Été 85 est à mille lieues des relations dysfonctionnelles et subversives que François Ozon a mises en scène ces dernières années, dans Jeune et jolie (2013), Frantz (2016) ou L’Amant double (2017).
Amour à mort
Été 85 résulte d’un double travail d’adaptation littéraire (fidèle) et de souvenirs de jeunesse (rêvés, parfois) de la part du réalisateur et scénariste, donnant lieu au film le plus solaire de son auteur (on sourit beaucoup), quoique avec la mort comme inéluctable toile de fond. C’est d’ailleurs avec elle – la mort de David – qu’Ozon entraîne le spectateur dans la seconde moitié de son 21e long métrage.
Construit sur deux temporalités, on plonge, parallèlement au récit euphorique de l’amitié passionnelle des personnages, dans la difficulté qu’a Alexis, devenu, l’espace d’un été, «Alex», pour grandir et s’affirmer, à surmonter la disparition de celui qui, on le devine, fut son premier amour, «celui qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui», dit-il en conclusion du film.
La première partie d’Été 85, aidée par une superbe reconstitution de l’époque, fait la part belle aux souvenirs et à la nostalgie, avec l’iconographie et les références aux signes culturels qui l’accompagnent: des posters de Taxi Girl, Téléphone ou Étienne Daho pour la musique, à ceux de Footloose ou Blow Out pour le cinéma, sans compter les nombreux tubes qui complètent la douce bande originale de Jean-Benoît Dunckel, dont In Between Days de The Cure, qui ouvre et clôt le film (à l’origine intitulé Été 84, le long métrage a changé de titre, car la chanson à laquelle Ozon pensait au départ, This Charming Man des Smiths et son texte ambigu, n’a pas pu être utilisée en raison du refus du guitariste du groupe, Johnny Marr. Le réalisateur écrivit donc à Robert Smith en négociant les droits du morceau de The Cure, sorti en 1985, contre un changement de titre).
La seconde partie, elle, abandonne cette euphorie pour s’ouvrir, plus gravement, aux questions du deuil et du sentiment de culpabilité. On peut y voir une réflexion qui complète, sur deux tableaux, celles qu’Ozon posait dans son précédent film, Grâce à Dieu, et celles qui entouraient ce même film, à la limite du scandale. Mais dans Été 85, les regrets, la tristesse et la colère font partie d’un présent si envahissant qu’Alex doit l’exorciser, et tandis qu’il le fait, aidé par son professeur, par l’écrit, Ozon le fait, lui, aidé par un duo d’acteurs éclatant (Félix Lefebvre a de faux airs de River Phoenix et Benjamin Voisin, le charme désinvolte d’un jeune Gérard Depardieu) et de vieux amis (Melvil Poupaud tout en moustache et en calvitie naissante, Isabelle Nanty ou une géniale Valeria Bruni Tedeschi), par cet art qui synthétise tous les autres, le cinéma.
Valentin Maniglia
Été 85 de François Ozon (France, 1 h 40) avec Félix Lefebvre, Benjamin Voisin, Philippine Velge…