Depuis le tout début, les Beastie Boys ont toujours eu un sens certain de la mise en scène. Profiter d’une caméra, dont celle, sacrée, de MTV, pour s’afficher comme de «petits cons» incontrôlables et obscènes.
Jouer de leur image, quitte à en faire trop, à travers des looks ravageurs et des concerts frénétiques, où ils faisaient semblant d’arroser le public de bière… Très tôt, les Beastie Boys, ne serait-ce que pour exister dans une industrie qui construit et détruit les carrières avec la même indifférence, se sont pris au jeu du grand cirque médiatique. Et quand il s’agit de fêter le 25e anniversaire de la sortie de leur album Ill Communication, Mike Diamond (Mike D) et Adam Horovitz (Ad-Rock) ressortent les projecteurs et font ce qu’ils savent faire de mieux : occuper l’espace.
Le duo, autrefois trio (Adam Yauch, alias MCA, est décédé en 2012 des suites d’un cancer, à 48 ans, ce qui a scellé la fin du groupe), aurait pu choisir l’éloge facile du documentaire ou du film hagiographie, lisse et sans saveur, mais c’est mal connaître le tempérament sans limite du «plus grand groupe de rap de tous les temps». Pour remonter 30 ans de folle histoire, il fallait donc sortir des sentiers battus.
Diffusé depuis fin avril sur AppleTV, Beastie Boys Story est donc un objet hybride, à placer entre le stand-up, la conférence et l’autobiographie. Tourné en «live» au Kings Theatre de Brooklyn, à New York, leur ville, on trouve, à la réalisation, Spike Jonze, ami de la bande, auteur notamment du clip Sabotage, l’un de leur mémorable fait d’armes.
Évidemment, le résultat à l’écran est singulier : des téléprompteurs situés en fond de salle, diffusent les textes inspirés de leur livre, Beastie Boys Book (2018); des jingles, parfois impromptus, sont balancés par le cinéaste espiègle; et des spectateurs, dont les comédiens Steve Buscemi et Ben Stiller, interviennent en bonus. Dans ce désordre maîtrisé, les deux protagonistes, micro en main, n’ont pas la même présence qu’à l’époque, mais s’amusent gentiment de l’exercice, quand le ton n’est pas à l’hommage. Des quinquagénaires bien dans leurs baskets, racontant leur épopée et le choix de ce nom grotesque, aujourd’hui gravé dans la légende : Beastie Boys pour «Boys Entering Anarchistic States Towards Internal Excellence», ce qui est à la fois «ridicule et redondant», commente Ad-Rock.
Ici, il faut donc dissocier ce qui se passe sur scène et à l’écran. Les images d’archives, savoureuses, ramènent au début des années 80, en compagnie de trois petits mecs qui balancent des idioties sur des guitares saturées. Fan des Clash, des Bad Brains et des Misfits, toujours entourée d’ami(e)s fidèles, la bande découvre le rap, encore balbutiant, s’inspire de la publicité d’une marque de glaces pour concocter son premier tube (Cookie Puss) et se faire un nom. Ad-Rock ira jusqu’à interpeller Afrika Bambaataa, pionnier du hip-hop, lors d’une émission de télévision pour lui demander ce qu’il en pense…
Grande gueule et audacieux, le groupe se rapproche de Run-DMC et leur manager, Russell Simmons, laisse le soin à leur pote-producteur Rick Rubin (Def Jam) de donner de l’épaisseur à leur son. Ils deviennent alors les premiers «b-boys» blancs. La suite du parcours est finalement assez classique dans l’histoire de la musique : la réussite, l’argent, la notoriété, puis la fatigue, la perte de contrôle artistique, le besoin de souffler. Bref, continuer à «faire la musique, glander et déconner», mais de façon plus retenue, moins exhibitionniste, et surtout dans un entre-soi salvateur.
Ils se réinventeront à Los Angeles, s’affirmant comme de véritables musiciens au contact des Dust Brothers, comme en témoigne une riche discographie, s’étalant sur huit albums ambitieux (1986-2011). Chez eux, la vie ou la carrière, «a toujours eu une drôle de forme, comme dessinée par un gamin avec un crayon de couleurs», synthétise, avec justesse, Ad-Rock. Au-delà des éloges, Beastie Boys Story se veut, au final, une célébration de l’amitié. Pourtant habitués à trouver les bons mots et se passer le micro, les deux «animateurs» n’en mènent pas large quand ils font dans l’autocritique, reconnaissant avoir sacrifié les copains – et notamment Kate Schellenbach, leur première batteuse – sur l’autel du succès.
Et la conclusion devient même larmoyante quand il s’agit d’évoquer le grand absent de la soirée, Adam Yauch, figure centrale du groupe, autodidacte inspiré, réalisateur fantasque (sous le nom de Nathaniel Hornblower, imaginaire oncle venu de Suisse qui s’invite sur scène pour une intervention mémorable aux MTV Awards de 1994) et militant en faveur du Tibet. «C’était le genre d’ami qui rend les choses possibles, vous amène à voir grand», témoignent-ils, la gorge serrée. Le film lui est d’ailleurs dédié, comme dans un dernier geste de fraternité. Plus question, là, de parader.
Grégory Cimatti
Beastie Boys Story, de Spike Jonze.