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[Critique ciné] « La Vérité » : Deneuve, Binoche et les faux-semblants


Un face-à-face sans cris inutiles, sans batailles rangées, sans exagérations scénaristiques. (photo DR)

Dans les milieux cinéphiles, on ne présente plus le réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda. Né à Tokyo en 1962, sélectionné à sept reprises au festival de Cannes, il y remporte le prix du jury en 2013 avec Tel père, tel fils et surtout la Palme d’or en 2018 avec Une affaire de famille.

La Vérité, son 14e film, sorti en décembre dernier en France, mais il y a dix jours seulement chez nous, a eu, lui, les honneurs de la Mostra de Venise où il sera programmé non seulement en compétition mais aussi en ouverture de la manifestation. Il n’a par contre pas figuré au palmarès.

C’est qu’elle est étonnante cette Vérité ! Premier long métrage français de ce maître du 7e art japonais, le film présente des ingrédients de ces deux univers. Un esprit français, mais des inspirations nippones. À moins que ce ne soit le contraire.

Malgré le voyage en Europe, les décors 100% parisiens, des comédiens très majoritairement français, mais aussi américains, le cinéaste aborde ici encore, comme à son habitude les relations familiales, la filiation surtout, ainsi que les mensonges, les deuils, les abandons, les ressentiments qui peuvent souvent en découler.

Cette fois-ci, c’est dans l’hôtel particulier d’une icône du cinéma que Hirokazu Kore-eda pose sa caméra. Dans sa belle demeure, Fabienne Dangeville s’ennuie. Ancienne grande actrice, star de Paris, lauréate de plusieurs César, ayant tourné avec les plus grands réalisateurs, etc. elle semble délaisser totalement le quotidien, le présent, pour vivre dans sa gloire passée. Elle partage sa vie avec un homme qu’elle délaisse et un secrétaire particulier qu’elle méprise. Elle daigne, par contre, de temps à autre, mettre son talent à la disposition de jeunes réalisateurs qui continuent à lui proposer de petits rôles. Dédaigneuse, hautaine, égoïste, imbue d’elle-même… Fabienne est à l’image de tout ce que le grand public déteste des stars, des riches, des nantis. Peu lui importe ce que les autres peuvent penser d’elle. Pourtant, pour ses mémoires, qu’elle vient de publier – à 50 000 exemplaires tout de même – elle s’invente une vie, un passé de mère modèle et efface totalement certaines personnes clés de son existence.

La publication du livre va d’ailleurs faire rentrer, de New York où elle a fait sa vie et où elle est devenue scénariste, sa fille, Lumir, accompagnée de son mari comédien et de leur fille. Ce retour va mettre Fabienne face à ses mensonges, à ses contradictions, à son manque d’empathie.

Bien que direct, ce face-à-face se fera chez Hirokazu Kore-eda sans cris inutiles, sans batailles rangées, sans exagérations scénaristiques. Bien au contraire, c’est une confrontation réaliste entre une mère et une fille qui, malgré les rancunes inavouées, gardent des sentiments forts l’une pour l’autre, envers et contre tout. Drame et comédie s’entrechoquent.

Si la famille est omniprésente dans le film, le réalisateur offre aussi dans cette Vérité son regard sur le cinéma – Fabienne est en plein tournage d’un film de science-fiction où elle incarne la fille âgée d’une mère éternellement jeune – et surtout le métier d’acteur. Jouent-ils leurs vies ? Vivent-ils leurs rôles ? Pour Fabienne en tout cas, impossible de séparer sa vie de son art. Même à la maison, parmi les siens.

À la fois grave et léger, avec un rythme posé, sans devenir contemplatif, La Vérité est un film complexe, divers. Pas le meilleur film du cinéaste, mais un long métrage déroutant. Un récit qui trouve l’équilibre entre souvenirs, réalité et imaginations. Un portrait surtout magnifique de comédiennes, qu’il s’agisse de Fabienne dans le récit ou simplement de Catherine Deneuve qui l’interprète. Là encore, déroutant ! Combien Deneuve a-t-elle mis d’elle-même dans ce personnage ? Probablement beaucoup. En tout cas, son personnage lui ressemble, à elle, ou du moins à l’image qu’elle dégage. Et comme le dit une des phrases les plus célèbres de l’histoire du cinéma, entendue dans The Man Who Shot Liberty Valance de John Ford : «Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende.» Ce que Hirokazu Kore-eda fait fort bien!

Pablo Chimienti