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[Critique ciné] «La Nuit du 12» : l’homme est un loup pour la femme


La Nuit du 12

de Dominik Moll

Avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Anouk Grinberg…

Genre thriller / drame

Durée 1 h 54

Cinéaste rare et que l’on oublie souvent de citer parmi les auteurs les plus percutants du paysage cinématographique français d’aujourd’hui, Dominik Moll touche dans le mille à chacun de ses films. Dans la tragicomédie chorale Seules les bêtes (2019) – dont le point de départ était, déjà, un féminicide –, le cinéaste donnait au gendarme le rôle du bleu pas très futé.

Le visage imberbe et vêtu d’un uniforme trop grand, Bastien Bouillon était la touche de naïveté de ce grand film peuplé de perdants malhonnêtes et dangereux. On retrouve l’acteur en haut de l’affiche dans La Nuit du 12, toujours en flic mais sans l’uniforme, dont il dit ne pas être très fan.

Pris au piège d’une enquête sans issue, il arbore un air inquiet, austère, et son visage se creuse progressivement, au fil des nuits blanches, des interrogatoires qui ne débouchent sur rien, de son obsession pour un meurtre sauvage qu’il se doit de résoudre.

Le carton d’introduction nous apprend qu’en France, 20 % des enquêtes pour meurtre ouvertes chaque année restent irrésolues. Grand raconteur du mystère, Dominik Moll pose par les faits les bases de ce qui sera un vrai film de fantômes et de démons.

Dès ses premières minutes, d’ailleurs, en mettant en scène le meurtre brutal de l’adolescente Clara, brûlée vive, en filmant son agresseur, cagoulé jusqu’autour des yeux et de la bouche. L’impensable s’est produit le soir du 12 octobre 2016, au moment même où Yohan (Bastien Bouillon) est promu capitaine à la PJ de Grenoble. Lui qui, une fois, avait pris à la légère les radotages d’un ancien collègue à propos d’une enquête jamais élucidée et qui l’avait hanté toute sa vie pourrait bien être le nouveau «chat noir» du service…

Le suspense est dissipé avant même le début du film, mais le mystère, donc, demeure longtemps après sa fin. Et le cinéaste de se débarrasser de l’encombrante construction classique du polar, avec son meurtre, son enquête et sa résolution, pour en faire une exploration à 360 degrés du genre policier, dans sa veine la plus réaliste.

Dominik Moll se débarrasse de la construction classique du polar pour en faire une exploration à 360 degrés du genre policier dans sa veine la plus réaliste

En prélude à l’enquête, Yohan s’emploie à la tâche la plus pénible : prévenir la mère de Clara que le corps calciné de sa fille gît à l’angle d’un parc, à quelques rues de sa maison. Ce n’est que la première des nombreuses épreuves qui rendront l’enquête pénible et qui consumeront, petit à petit, Yohan et son collègue Marceau (Bouli Lanners).

En faisant le choix de raconter la vie quotidienne de ces policiers, Dominik Moll fait la somme de toutes les choses, petites et grandes, professionnelles et personnelles, qui ajoutent de la difficulté à leur travail : une imprimante récalcitrante, des heures sup’ systématiques et jamais payées, un début de dépression difficile à cacher, le tout dans un environnement fait d’hommes célibataires ou divorcés où règne un sexisme latent. Pas étonnant, donc, que Marceau soit sur le point de craquer et de franchir la ligne rouge…

D’interrogatoires en intuitions, les chemins se suivent et ne se ressemblent pas – y compris dans une mise en scène qui brouille les pistes –, pour finalement découvrir qu’on ne fait que tourner en rond. Yohan en a même fait une façon d’extérioriser sa frustration, lui qui se rend tous les soirs au vélodrome pour quelques tours de piste à toute vitesse.

Et puis la réponse arrive, cinglante : si Clara est morte, c’est «parce que c’est une fille», finit par avouer la meilleure amie de la victime. Les suspects sont bien tous des hommes : étranges, violents, menteurs ou maladroits, ils ont tous, à un moment, fait naître de leur désir une forme de haine pour Clara.

Et si elle a été tuée parce que femme, alors ses assassins, «ce sont les hommes», pense Yohan. Tous, sans exception. À l’image de Bob, l’entité maléfique qui a tué Laura Palmer dans la série de David Lynch Twin Peaks, à laquelle La Nuit du 12 renvoie plus d’une fois. L’enquête est arrêtée au bout d’un an, juste avant que n’éclate l’affaire Weinstein.

Le temps des assassins ne doit plus être et ce «cold case» pourra reprendre à nouveau une paire d’années plus tard, sous l’impulsion, notamment, d’une juge et d’une nouvelle recrue : deux femmes pour une nouvelle lueur d’espoir…