La critique ciné de la semaine : King Richard de Reinaldo Marcus Green avec Will Smith, Saniyya Sidney, Demi Singleton…
Richard Williams est un homme étonnant, complexe et très joueur. Imaginez tout le même le pari qu’il s’est fixé : placer ses deux filles au sommet du tennis mondial, milieu blanc et huppé par excellence, alors qu’il vit avec sa famille du côté de Compton, Californie, ville plus réputée pour son rap (Dr. Dre, Ice Cube et Kendrick Lamar en sont originaires) que pour ses montées au filet. Cet éleveur de championnes, porté sur le sport mais sans aucune qualification officielle pour la balle jaune (il apprend sur le tas, dans les livres et magazines spécialisés), a pourtant tenu promesse : il a fait de son aînée, Venus, la première n° 1 mondiale afro-américaine, cinq fois vainqueur à Wimbledon et deux fois de l’US Open, et de sa cadette Serena l’une des plus grandes joueuses de l’histoire de ce sport, forte de 23 succès en simple en Grand Chelem.
Du coup, comme la fin est déjà connue, gravée dans les annales, il est difficile de voir ce père moraliste et ultraprotecteur autrement qu’en visionnaire. C’est d’ailleurs à cette image que s’accroche le film du méconnu Reinaldo Marcus Green qui, c’est important de le dire, est produit par les deux joueuses (et Isha Price, une de leurs demi-sœurs). Bref, une «biographie autorisée» qui arrondit un peu vite les angles, et c’est dommage : la sévérité des entraînements (que l’homme raconte dans son livre Black and White : The Way I See It) ne se voit jamais à l’écran, tout comme la souffrance exigée pour parvenir au tout meilleur niveau. En ce sens, préférons alors Cinquième Set de Quentin Reynaud, qui souligne lui avec justesse toute l’intensité physique et émotionnelle réclamée par le tennis.
Non, King Richard ne s’embarrasse pas et, comme un ace, file droit au but : raconter deux destins d’exception et la prophétie d’un père, qui a préparé un plan de carrière de 78 pages pour ses filles avant même leurs naissances… Voûté, avec son short moulant et ses chaussettes hautes, c’est un Will Smith un brin grisonnant qui incarne cet homme têtu et égocentrique, arrimé à ce destin qu’il a lui-même écrit. Lui que «personne n’a jamais respecté» et que le monde se plaît à humilier (le KKK, la police, une voisine, un gang de Campton) rêve d’un autre avenir pour ses filles, afin qu’elles ne «finissent pas dans la rue». Quitte à tout sacrifier. Sa femme (Aunjanue Ellis) partage cette éducation à la dure et s’investit, elle aussi, raquette à la main, dans la mission familiale.
Outre des embardées pleines de bons sentiments, avec ses leçons de vie incontournables qui parlent de devoir, de responsabilité, de dévouement, d’humilité et de persévérance, King Richard sort quelques coups gagnants : en premier lieu pour sa façon d’être au cœur de l’action, avec ses parties tout en tension qui s’intensifient au fil du film. Sans oublier un autre duel, celui des classes sociales, sensible pour une famille afro-américaine plongée dans un milieu blanc privilégié, avec la part de mépris et de racisme ordinaire qui va avec. Le succès de Venus et Serena ne sera pas que le leur, proclame le père, mais bien celui de toute une communauté.
Se concentrant sur leur enfance et leur adolescence, le biopic dévoile enfin, sans retenue, la fraîcheur de deux jeunes actrices (Saniyya Sidney et Demi Singleton), à l’enthousiasme débordant et aux certitudes affirmées. Pas autant toutefois que celles du paternel, capable de couper une partie entre John McEnroe et Pete Sampras pour présenter ses filles, ou les empêcher (c’est véridique!) de disputer les tournois juniors avant leur entrée sur le circuit professionnel, afin de les préserver. Papa poule prêt, quoi qu’il en coûte, à «viser les sommets», Will Smith fait pourtant dans la sobriété, prouvant une nouvelle fois qu’il est à l’aise dans les films de sport, comme ce fut déjà le cas avec Ali (2002). Rien ne sert en effet d’en faire trop. Après tout, cela n’est qu’un jeu.