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[Critique ciné] «Jojo Rabbit», le nazisme à hauteur d’enfant


Le leader du Troisième Reich s’impose à l’écran comme l’ami imaginaire de Jojo Betzler, garçon qui adhère à la propagande nationaliste un peu comme on adhérerait au scoutisme. (Photo : DR)

En choisissant de lancer son film avec une chanson des Beatles en allemand (I Want to Hold Your Hand devient alors Komm gib mir deine Hand), remplaçant, à l’image, l’hystérie des fans des «Fab Four» par celle des partisans d’Hitler, le réalisateur Taika Waititi pose les bases de sa réflexion : l’émergence des régimes dictatoriaux tient à l’enthousiasme aveugle des masses. Et, par prolongement, l’ignorance est mère d’intolérance. D’ailleurs, quoi de plus malléable que l’esprit d’un jeune garçon de 10 ans, enrôlé dans les Jeunesses hitlériennes en pleine Seconde Guerre mondiale ?

Voilà donc qu’arrive, dans une dizaine jours, Jojo Rabbit, auréolé de belles critiques, avec, au passage, le prix du public glané au festival de Toronto (TIFF). Il faut dire que le film joue avec les sentiments et une méthode qui fait régulièrement ses preuves : se mettre à hauteur d’enfant pour mieux raconter les atrocités de la guerre et la folie des hommes. Évidemment, quand on évoque pareil cas, La Vie est belle (1997) s’impose d’emblée comme la référence du genre. Mais si à l’époque Roberto Benigni avait fait le pari du larmoyant et de la poésie, Taika Waititi, lui, choisit la comédie satirique, une arme toujours efficace, pour évoquer, sans trop d’effusion sentimentale, les temps brumeux.

Comme pour exorciser ses démons, le cinéaste d’origine maori et juive enfile lui-même le costume du Führer, se transformant, sous le regard amusé de sa caméra, en un clown à la fois joueur et colérique, un peu comme Chaplin l’a fait en son temps. Car ici, le leader du Troisième Reich s’impose à l’écran comme l’ami imaginaire de Jojo Betzler, garçon qui adhère à la propagande nationaliste un peu comme on adhérerait au scoutisme : c’est sympa, il y a plein de copains à se faire et les activités en plein air sont nombreuses… sauf que les jeux consistent plutôt à manier la grenade et à brûler les livres. Bien que maladroit et chétif, il y trouve son compte, espiègle avec son copain Yorki (bien réel lui), et rassuré, au besoin, par sa mère (incarnée par Scarlett Johansson) et son déjanté camarade imaginaire. Mais son monde est bouleversé lorsqu’il découvre, cachée dans sa maison, une jeune adolescente juive…

Si certains crieront à la grossière caricature – notamment au vu des portraits peu flatteurs des soldats, dirigeants et autres membres de la Gestapo (mention spéciale à Sam Rockwell, alias Klenzendorf, capitaine alcoolique et flamboyant) – Jojo Rabbit ne ment pas sur ses intentions : tisser un conte haut en couleur, avec une bonne dose de non-sens (de tragédie même), pour dépeindre les rouages du piège de la propagande et de la haine instrumentalisée.

De plus, que l’on évoque les partis pris esthétiques ou les choix narratifs, la comparaison avec l’excellent cinéma de Wes Anderson est très tentante, surtout que, comme son compère américain, Taika Waititi a soigné son casting. Scarlett Johansson y est étonnante dans un rôle de maman résistante, tout comme la jeune Thomasin McKenzie et le très prometteur Roman «Jojo» Griffin Davis. Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, le réalisateur (Thor : Ragnarok) brille à chacune de ses loufoques interventions, absurde et drôle comme sait l’être, par exemple, un Sacha Baron Cohen.

Il démontre ainsi, une fois encore, que l’humour permet d’aborder des sujets graves et s’accommode de n’importe quel contexte, à condition de faire preuve d’un minimum de finesse et de sincérité. Rappelons, pour finir, que cette année The Great Dictator, qui reste malheureusement d’actualité, fêtera ses 80 ans. Oui, une énième piqûre de rappel reste la bienvenue surtout face à un populisme toujours rampant.

Grégory Cimatti

Jojo Rabbit, de Taika Waititi. Sortie le 29 janvier.

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