Inexorable
de Fabrice Du Welz
Avec Benoît Poelvoorde, Alba Gaïa Bellugi, Mélanie Doutey…
Genre thriller
Durée 1 h 38
Inexorable, c’est un truc qui doit se passer.» C’est ainsi que le mot qui donne son titre au nouveau film de Fabrice Du Welz était défini par l’héroïne du précédent long métrage du cinéaste belge, Adoration (2019), énoncé dans une langue simple, franche. Inexorable, c’est en effet ce vers quoi Fabrice Du Welz se dirigeait sans détour, l’œuvre à laquelle il ne pouvait échapper.
Adoration était ce film essentiel à hauteur d’adolescent, qui venait à la fois comme un succédané des grandes idées, visuelles et narratives, qui traversaient l’œuvre de son auteur, et qui s’ouvrait en même temps vers d’autres possibilités, celles de l’innocence et de la pureté.
Dans la chronologie d’un auteur de cinéma qui semblait offrir un discours définitif et trouver un point de rupture, l’«après» ne se construit pas sur les ruines du passé, mais contre l’édifice que les œuvres précédentes ont bâti.
«On n’écrit pas pour plaire, on écrit parce que c’est vital», assène à une journaliste, dans les premières minutes du film, l’écrivain à succès Marcel Bellemer. C’est peut-être bien une force supérieure, irrésistible, qui a mené Fabrice Du Welz sur le chemin de ce nouveau thriller.
Dans son genre de prédilection – vital, donc –, le réalisateur belge réalise un rêve qu’il formule depuis Calvaire (2004), son premier film : offrir le premier rôle à Benoît Poelvoorde, qui, en retour, joue un immense numéro. L’écrivain qu’il incarne, son épouse, Jeanne (Mélanie Doutey), et leur fille, Lucie (Janaïna Halloy), s’installent dans l’immense manoir hérité du père de sa femme, un éditeur puissant et respecté, dont Jeanne assure aussi la succession dans les affaires.
Pour tromper la solitude, les parents adoptent un chien, qu’ils offrent à leur fille. Un jour que l’animal s’échappe, il est ramené par Gloria (Alba Gaïa Bellugi), une jeune fille tout juste arrivée dans le village voisin, qui accepte de venir régulièrement dans la demeure pour apprendre à Lucie à dresser le chien. Mais Gloria, admiratrice de l’écrivain, va peu à peu s’immiscer dans la vie de la famille.
Fabrice Du Welz ne cache jamais ses intentions. Après un générique mystérieux défilant sur d’illisibles manuscrits, il réserve l’ouverture du film à une meute de chiens aux aboiements menaçants, enfermés dans le chenil où Marcel et Lucie viennent récupérer leur nouvel ami à quatre pattes.
Sur le chemin du retour, alors qu’ils traversent une imposante forêt, on apprend que tout ce terrain leur appartient. Puis, en montage parallèle, les premières apparitions de Gloria, errant dans la région sinistrée qui n’est qu’à quelques minutes et qui semble pourtant être un autre monde, s’opposent à la cohésion familiale tandis que les cartons sont en train d’être déballés.
Tourné dans un magnifique Super 16 et dans une lumière majoritairement naturelle (Manu Dacosse, acolyte habituel de Du Welz, reste l’un des plus grands chef-opérateurs actuels), il y a déjà dans cette introduction quelque chose de toxique et d’insaisissable, avec le sentiment que la recherche de la pureté, de l’innocence et de la sauvagerie d’Adoration s’était évaporée.
Inexorable ne cesse de confirmer, séquence après séquence, qu’il est le contrepied total du film précédent. La présence de Gloria – un nom angélique qui est souvent celui des héroïnes du cinéaste – renverse l’ordre établi au sein de la famille, et révèle chez chacun des personnages sa part de vice.
L’important n’est pas de savoir quand arrivera la résolution du mystère, mais jusqu’où celle-ci amènera les personnages
Personne ici n’est innocent, pas même la petite Lucie, qui, pour sa fête d’anniversaire, choisit de donner un spectacle aux invités en convulsant sur un morceau de metal. En fait, comme chez les patrons du mystère – Chabrol et Clouzot sont les références phares ici, l’un pour les formidables coups de pied qu’il envoie dans la fourmilière bourgeoise, l’autre pour la difficulté à discerner la vérité du mensonge –, l’important n’est pas de savoir quand arrivera la résolution, mais jusqu’où celle-ci amènera les personnages.
Dans cette grande claque qu’est Inexorable, Fabrice Du Welz joue même avec les tabous et déplace la frontière de la morale. C’est aussi le rôle des incroyables comédiens, Alba Gaïa Bellugi en tête, qui serait pour Du Welz son Isabelle Huppert ou sa Romy Schneider, quand Benoît Poelvoorde devient complètement électrique en présence de la jeune femme. Une chose est sûre : si le cinéaste virtuose veut prendre pour nouvelle direction celle de ses illustres maîtres, on le suivra n’importe où.