Pour Michael Myers aussi, Halloween Kills est une pause, durant laquelle il tue énormément et élève sa technique au rang d’art.
«Que l’on m’appelle Laurie ou Jamie, c’est la même chose (…) Chacun fait face à ses démons», déclarait Jamie Lee Curtis lors de la dernière Mostra de Venise, se référant au personnage de Laurie Strode, la baby-sitter traquée par le tueur en série Michael Myers, qu’elle incarne pour la sixième fois dans Halloween Kills. L’une fait donc partie de l’ADN de l’autre. Alors quand la saga reprend en 2018 après un hiatus de seize ans – qui aura vu entretemps un remake et sa suite, deux très bons films signés Rob Zombie –, Jamie/Laurie est promise à un dernier affrontement avec le célèbre tueur masqué qui terrorise depuis plus de quarante ans la petite ville d’Haddonfield, Illinois. Halloween Kills reprend quelques minutes après la fin d’Halloween (David Gordon Green, 2018) : alors que Laurie, gravement blessée, fuit vers l’hôpital en compagnie de sa fille, Karen (Judy Greer), et sa petite-fille, Allyson (Andi Matchiak), Michael Myers survit à l’incendie de la maison dans laquelle il était prisonnier. Tandis que le massacre recommence, les habitants d’Haddonfield, menés par Tommy Doyle (Anthony Michael Hall) et d’autres survivants des meurtres, se préparent pour une chasse à l’homme la nuit d’Halloween. «Le mal prend fin ce soir», disent-ils.
Lorsqu’elle a été confiée à deux trublions de la comédie américaine, David Gordon Green et Danny McBride – le duo derrière les pépites Eastbound and Down, Vice Principals et The Righteous Gemstones –, ces fans de longue date de la saga Halloween entendaient piloter une dernière trilogie qui boucle la boucle commencée par John Carpenter en 1978. Halloween Kills se veut ainsi une sorte d’interlude dans l’histoire de Laurie Strode, et un film de transition qui s’éloigne de son personnage pour se concentrer sur d’autres destins. Par là même, il continue d’étendre l’univers original en faisant revenir une grande partie du casting du film de 1978 et en multipliant les allers-retours dans le temps. Du point de vue du tueur, en revanche, ce deuxième volet s’affirme comme une véritable série B à l’ancienne, qui compile les scènes de violence inventives et les effets gore qui refusent le recours au numérique. Pour Michael Myers aussi, Halloween Kills est une pause, durant laquelle il tue énormément et perfectionne sa technique, pratiquement élevée au rang d’art tant les cadavres sont utilisés pour des performances sordides qui émaillent le chemin vers sa Némésis, Laurie Strode.
Pour la confrontation au sommet, il faudra donc attendre encore un an. Ce qui intéresse le réalisateur, c’est cette fameuse chasse au «boogeyman» qui naît dans la haine du monstre et les discours belliqueux tenus par Tommy Doyle. La pandémie de Covid-19 n’eût-elle pas lieu, le film serait sorti pour Halloween 2020, autrement dit, à quelques jours seulement de l’élection présidentielle américaine. Il est évident que Halloween Kills veut dresser un état des lieux de la révolte citoyenne des partisans de Donald Trump – qui allait atteindre son paroxysme en janvier dernier avec l’assaut du Capitole –, mais dans la petite ville d’Haddonfield, les habitants n’ont pas d’étiquette politique. Seule compte l’insurrection, manière radicale à la fois de combattre le mal et de se révolter contre le système. Bien que très intéressante, l’idée se cogne parfois la tête contre ses propres limites; c’est compter sans un acte final surprenant, qui offre son lot de massacres, remet les compteurs à zéro et suscite une anticipation fébrile pour Halloween Ends, suite et fin.
Finalement, c’est dans l’excès de violence que le long métrage offre ses meilleurs moments. Après tout, la fête d’Halloween ne serait pas ce qu’elle est sans son traditionnel film d’horreur et les séquences sanglantes qui vont avec. Dans l’histoire de la saga, Michael Myers tue rarement au hasard, au contraire de ses collègues icônes de l’horreur Jason Voorhees et Freddy Krueger; ici, les meurtres aveugles prolifèrent. L’imagination des scénaristes aussi, qui s’amusent à multiplier les toiles de fond pour chaque victime, parfois dans de véritables scènes de comédie, si bien réussies que l’on regrette qu’elles soient si rares. Sur l’envoûtante musique originale de John Carpenter (cocomposée, comme pour le volet précédent, avec son fils, Cody Carpenter, et Daniel Davies), Michael Myers se montre plus que jamais comme l’incarnation ultime du mal, tandis que ses victimes semblent se complaire dans la terreur et ne peuvent détourner les yeux de ses meurtres dégoûtants. Une mise en abyme qui renvoie, dans un jeu de miroirs – élément par ailleurs très présent dans le film –, au spectateur lui-même, qui y trouve ce qu’il est venu chercher… et même plus.
Valentin Maniglia