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[Critique ciné] H. G. Wells à l’ère #MeToo


The Invisible Man doit surtout se voir comme une métaphore de l’emprise psychologique et physique que peut avoir un homme sur une femme. (Photo : DR)

L’acteur australien Leigh Whannell, qui s’est lancé il y a peu dans la réalisation, a déjà un penchant affirmé : celui de l’homme augmenté, ou comment la nouvelle technologie peut accroître les capacités de l’être humain.

Vu que John Favreau et Shane Black se sont déjà occupés d’Iron Man, il s’est donc lancé dans un exercice similaire, en solo, avec Upgrade (2018), soit la banale vengeance d’un type aux aptitudes démesurées grâce à un implant couplé à une intelligence artificielle. Pour The Invisible Man, il poursuit dans la même veine, à deux exceptions près : d’abord en célébrant cette fois l’homme «désincarné», ensuite en empruntant cette célèbre figure à un maître du genre fantastique, l’auteur H. G. Wells, aux romans inscrits dans l’Histoire comme La Machine à explorer le temps, L’Île du docteur Moreau, La Guerre des mondes et, donc, L’Homme invisible, tous écrits entre 1895 et 1898…

Bien sûr, chacun d’entre eux a eu le droit à son adaptation au cinéma, à plusieurs reprises même, et c’est là que Leigh Whannell a eu une bonne idée : plutôt que de faire une énième version de ce personnage et de son pouvoir sur lequel nombreux ont fantasmé, il retourne sa caméra et se place du côté de la victime. Ici, la femme de l’homme invisible, en l’occurrence Elisabeth Moss qui, à l’écran, se met décidément dans des situations pas possibles.

On l’a connue, avec panache, en lutte pour son émancipation dans un monde machiste (Mad Men), puis en servante-esclave dans un autre totalitaire (The Handmaid’s Tale). Et une fois encore, dans The Invisible Man, elle incarne la révolte face à l’oppression masculine. Dès les premières images, on la découvre dans la peau d’une certaine Cecilia Kass, totalement apeurée, qui fuit dans la nuit son mari tyrannique, un brillant et riche scientifique (une copie édulcorée de Tony Stark, justement). Chez eux, la propriété ressemble à une prison intime, avec murs d’enceinte, caméras de surveillance et alarme… Elle se réfugie auprès de sa sœur, leur ami d’enfance et sa fille adolescente, auprès desquels elle confiera : «Il contrôlait mon apparence, ce que je mangeais, ce que je disais, ce que je pensais…». Et c’est là, pour une raison d’ailleurs assez obscure, que l’homme se suicide et laisse à sa veuve, non éplorée, une part importante de son immense fortune.

Cette dernière, à peine soulagée, commence toutefois à ressentir une étrange présence, dont les manifestations se font de plus en plus inquiétantes : des traces de pas, une main sur une vitre embuée, la flamme de la cuisinière qui grandit sans raison… Proche de perdre la raison, elle cherche alors à prouver qu’elle est traquée par un homme que nul ne peut voir. Mais qui veut bien la croire ?

 

Ici, tout est une question de suggestion puisque le Mal (le mâle) ne se voit pas…

The Invisible Man doit donc surtout se voir comme une métaphore de l’emprise psychologique et physique que peut avoir un homme sur une femme. Et cette domination y est scrutée dans ses moindres détails les plus sournois. Pour ce faire, le film use des ficelles de l’horreur, avec des plans très lents, sans musique, pour s’arrêter sur le vide. Tout est une question de suggestion puisque le Mal (le mâle) ne se voit pas. C’est pourquoi il est plus juste de parler de thriller, malgré quelques séquences sanguinolentes.

Avouons-le, l’effet recherché est réussi, l’atmosphère est étouffante et les détails visuels sont soignés. On peut toutefois regretter des maladresses et des raccourcis faciles, comme une dernière partie convenue, et aussi un usage abusif des armes à feu, qui casse un peu l’ambiance – bien que le maniement du couteau soit aussi mis en avant. C’est sûrement en se cherchant un équilibre entre suspense et épouvante que le film se perd en route, alors qu’un peu de concision s’imposait. Heureusement, pour donner de l’épaisseur à l’objet, long de deux heures, on peut compter sur Elisabeth Moss, habitant corps et âme ce personnage qui perd la boule, avant de se rebiffer et sourire enfin. Elle est en tout cas impeccable dans ce rôle sur mesure à l’ère #MeToo. Une preuve que l’industrie du cinéma, à travers d’étonnantes intentions comme celle-ci, arrive parfois à se mettre à la hauteur de la question.

The Invisible Man, de Leigh Whannell.

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