Pas de pause clope pour Quentin Dupieux, l’un des réalisateurs les plus productifs du paysage cinématographique français.
Depuis Steak (2007), il enchaîne les films avec facilité et fausse légèreté, selon une recette qui ne varie pas, ou peu : de l’absurde, du surréalisme et parfois du gore, dans lesquels sont plongés des personnages boiteux, gentils mais franchement benêts.
Depuis 2018, comme calé sur le rythme des sonorités électroniques qu’il signe sous le nom de Mr. Oizo, le cinéaste accumule les idées et les traduit sur grand écran : il y a eu ainsi Au poste!, Le Daim, Mandibules et Incroyable mais vrai.
Quatre films en autant d’années, garnis d’histoires loufoques qui parlent de flics barrés, d’une veste «au style de malade», de grosse mouche et de faille spatio-temporelle. Pour sa nouvelle dinguerie, il se tourne, nostalgique, vers les années 80, période Club Dorothée et sa kyrielle de superhéros venus du Japon, aux casques lustrés et aux combinaisons moulantes en lycra-. Après X-Or, Bioman et Power Rangers (pour le coup, américains), voilà qu’une nouvelle équipe se pose en sauveur de l’humanité : la Tabac Force !
Cinq justiciers qui, au beau milieu d’une carrière, passent justement… à tabac ce qui ressemble à une tortue géante, pas si dangereuse que ça. Nicotine, Benzène, Ammoniaque, Mercure et Méthanol unissent tout de même leur pouvoir, et plutôt que de lui refiler un cancer, l’explose en mille morceaux, tripes et boyaux à l’air. De quoi satisfaire leur chef, une tête de rat répugnante et baveuse avec la voix d’Alain Chabat. Mais ce dernier sent que l’escouade n’est plus aussi efficace qu’avant, et pour renforcer sa cohésion, l’envoie en séminaire au bord d’un lac.
Au menu, du repos, des baignades, un feu de camp et comme en colonie de vacances, des histoires qui se racontent jusqu’au bout de la nuit, pour se faire peur. Un séjour qui semble se dérouler au mieux jusqu’à ce que le maléfique Lézardin, ennemi aux problèmes de peau semblables à ceux de la série V, décide d’anéantir la planète Terre… Avec un résumé aussi farfelu, une fois encore, Quentin Dupieux ne cherche pas à fédérer. Sa signature est trop singulière pour cela. Lui préfère se laisser aller à ses fantaisies, qui débordent du cadre et partent souvent en queue de poisson.
Un film qui ne choisit jamais entre horreur, série Z et comédie
Un film de Quentin Dupieux est comme un terrain de jeu, dirigé par un grand enfant. Fumer fait tousser ne fait pas exception à la règle. Autour de lui, pour rigoler et se surprendre, toute une bande de copains-copines qui représente la fine fleur du cinéma français. Ici, côte à côte, on trouve Gilles Lelouche, Vincent Lacoste, Anaïs Demoustier, Oulaya Amamra et Jean-Pascal Zadi, sans oublier des seconds rôles (Benoît Poelvoorde, Blanche Gardin, Adèle Exarchopoulos, Grégoire Ludig et David Marsais du Palmashow).
Un casting de choc qui, dans un lâcher-prise évident, s’amuse de rien, ou de si peu : de jeux de mots foireux, de gimmicks et d’autres trouvailles inventives (comme ce frigo-supermarché, ou cette partie d’«araignée, oiseau, casserole» qui remplace le traditionnel «pierre-feuille-ciseaux»). Il y a aussi cette forme hybride qui plaît, pour un film qui ne choisit jamais entre horreur, série Z et comédie. Restent enfin, pour lier le tout, ces sketches qui font frissonner ou rire, selon que l’on aime ou pas l’hémoglobine tape-à-l’œil à la Creepshow.
Mais derrière ses allures potaches, Fumer fait tousser parle, en creux, comme si de rien n’était, de l’époque et ses enjeux dramatiques : il y est question d’écologie, de technologie (peu fiable) et de féminisme, avec ces deux héroïnes qui ont du mal à trouver leur place au milieu d’hommes aux ego mal placés. À l’image de son robot suicidaire, Quentin Dupieux a quelque chose de mélancolique, ce qu’il confirme avec cette fable de la fin du monde. On dit souvent de lui qu’il est haut-perché. Peut-être, mais c’est sûrement sa manière de prendre de la hauteur sur une «planète de fous».