Cette semaine, Dune, le nouveau film de science-fiction (2 h 35) de Denis Villeneuve avec Timothée Chalamet, Oscar Isaac, Rebecca Ferguson, Josh Brolin…
Voilà qui n’est pas une mince affaire. Avec Dune, Denis Villeneuve se hisse au firmament d’Hollywood, après avoir gravi les échelons en seulement trois films, sortis en quatre ans : Prisoners (2013), Sicario (2015) et Arrival (2016). Le film précédent du réalisateur québécois, Blade Runner 2049 (2017), était une sorte de test qui aurait prouvé qu’il avait les épaules assez solides pour supporter un projet aussi colossal. Car c’est la moindre des choses que requiert Dune, à en juger par les précédentes tentatives ratées – celle d’Alejandro Jodorowsky, abandonnée à un stade déjà avancé de la production, puis celle de Ridley Scott, qui a eu le flair de lâcher l’affaire au profit de… Blade Runner (1982) – et celle qui a abouti, signée David Lynch et sortie en 1984 au prix d’une expérience cauchemardesque pour le réalisateur et toute son équipe.
Les vies antérieures de Dune sont son principal problème. C’est pourquoi Denis Villeneuve refuse de laisser le passé entacher le présent. Son parti pris est clair dès les premières minutes : jurer fidélité au roman de Frank Herbert tout en dégageant une proposition pensée jusque dans ses moindres détails pour le cinéma (comprendre : le grand écran, en dépit d’une distribution américaine simultanée sur la plateforme HBO Max, comme toutes les sorties Warner cette année). Il ne s’agit pas, pour Villeneuve, de relever le défi d’une adaptation jugée quasiment impossible, mais bien d’utiliser cette matière extrêmement dense pour la transformer en un rare exemple de perfection.
Dans un souci d’exhaustivité, Dune sera ainsi divisé en deux parties, à l’instar de certaines éditions du roman en français, ce film adaptant le premier tome. Et il est peu dire que la traduction à l’écran est étourdissante. Villeneuve parvient à simplifier la trame – en l’an 10 000 et des poussières, la puissante famille Atreides reçoit l’intendance de la planète Arrakis, jusque-là aux mains de leurs ennemis, les dangereux Harkonnen, qui ont en réalité pactisé avec l’Empereur pour tendre un piège à la fois aux Atreides et aux autochtones de la planète, les Fremen, afin de garder le contrôle de l’Épice, la substance la plus rare de l’univers qui ne se trouve que sur Arrakis – et à développer tout l’univers de Frank Herbert, avec ses richesses, ses complexités, ses nuances et ses langages, laissant même quelques mystères en suspens en évitant au spectateur d’en sortir frustré.
L’éblouissement recherché est tellement réussi qu’il aveugle
Mais l’impossible est aussi l’obsession du cinéaste, l’un des plus doués de sa génération. On perçoit simultanément dans l’ampleur de Dune l’expression ultime d’un rêve d’enfant devenu réalité et le conflit intérieur d’un réalisateur avec son propre ego. Chaque plan du film a vocation à être sorti de son écrin puis imprimé et encadré; presque chaque ligne de dialogue – et le film n’est jamais bavard – sonne comme une citation; chaque extérieur – naturel – appelle à l’évasion. Dans cet univers vu à travers la caméra de Denis Villeneuve, on ne marche pas, on glisse ou on lévite. On ne reste pas fixe, on pose. On ne se bat pas, on chaloupe. La vision que propose Villeneuve relève à tous points de vue d’une extase contemplative qui achève de se définir dans la dualité des codes couleurs – marque de fabrique du réalisateur québécois –, dans le jeu d’acteur du protagoniste, Timothée Chalamet, qui fonctionne, lui aussi, sur la dichotomie, et dans la musique, tant omniprésente que désagréable, de Hans Zimmer.
Il est évident que Dune est une œuvre à part, à des années-lumière de tout autre film de science-fiction. On ne peut qu’en être ébloui. Avant d’être finalement rattrapé – assez vite, à vrai dire – par sa propre excellence, sa perfection lisse, où le divertissement rejoint l’œuvre d’art totale, interdisant même aux méchants de l’histoire d’être répugnants et évacuant toute forme d’ésotérisme pour des visions transcendantes. L’éblouissement recherché est tellement réussi qu’il aveugle, mais il tient à faire rappeler à chaque seconde que Dune, le film, est le digne héritier de Dune, le roman : un édifice inatteignable.
Valentin Maniglia