Deep Water
d’Adrian Lyne
Avec Ana De Armas, Ben Affleck, Tracy Letts…
Genre thriller érotique
Durée 1 h 55
À bien observer la carrière de Ben Affleck, notons avant toute chose qu’il y a bien peu à retenir de ses engagements professionnels aux côtés de celles avec qui il a entretenu des idylles, de Gigli (avec Jennifer Lopez, l’un des films ayant gagné le plus de Razzie Awards) à l’infernal Daredevil (avec Jennifer Garner).
Sa courte relation avec l’actrice cubano-espagnole Ana De Armas a alimenté le «gossip» pendant la pandémie et les deux se retrouvent aujourd’hui en couple dans Deep Water, pour le meilleur ou pour le pire… À la différence que ce film-ci, distribution mise à part, est un évènement en soi, puisqu’il marque le retour derrière la caméra d’Adrian Lyne, roi du thriller érotique qui a disparu des radars depuis Unfaithful (2002).
Mais les temps sont étranges : mis en boîte avant la pandémie, Deep Water restera au placard pendant un an et demi et, quand les cinémas du monde entier rouvrent enfin leurs portes, une sortie mondiale est annoncée… en streaming, sur Hulu aux États-Unis et Amazon Prime Video partout ailleurs.
À l’heure où le cinéma américain à gros budget, avec ses déferlantes de superhéros aussi asexués que chargés en testostérone, est à peu de chose près aussi prude qu’à l’époque du code Hays (1934-1968), le retour d’Adrian Lyne fait lever le sourcil.
Plus de trois décennies plus tôt, à l’âge doré du thriller érotique, le cinéaste britannique avait perfectionné le genre et régnait en maître malgré une concurrence rude (Paul Verhoeven, Brian De Palma, David Cronenberg, les Wachowski, et même Stanley Kubrick!).
Nine and ½ Weeks (1986), Fatal Attraction (1987) ou Indecent Proposal (1993) sont autant de films cultes qui appellent à se remémorer une époque qui, après avoir gardé un temps la tête hors de l’eau grâce au marché de la vidéo, est désormais morte et enterrée.
Adrian Lyne le sait – la production du film a commencé il y a dix ans – et en joue. Son intrigue, adaptée d’un roman de Patricia Highsmith, tient, dans la tradition du genre, en quelques mots : le mariage de Vic Van Allen et de sa femme, Melinda, est réduit à peau de chagrin.
Riche et mondain, le couple multiplie les sorties et, presque automatiquement, Melinda y invite ses amants, sous les yeux de son mari. Lui ne semble pas dérangé par ses frasques, au contraire : il semble même prendre du plaisir à effrayer les amants en les menaçant de mort, pour s’amuser. Mais quand plusieurs d’entre eux sont retrouvés morts, Vic devient le suspect numéro un…
Il y a une raison majeure pour laquelle le thriller érotique est aujourd’hui une chose du passé : les enjeux scénaristiques, parmi lesquels l’intrusion du «stalker» amoureux dans la vie privée, les relations sado-masochistes ou, évidemment, l’adultère, n’ont plus vraiment de raison d’être dans une époque où la sexualité est largement plus libérée.
Alors, le couple glamour au centre de Deep Water prend la chose à revers. Quand un Ben Affleck au visage monolithique voit son épouse flirter avec d’autres hommes, il reste à l’écart, mais observe ; quand elle s’en aperçoit, elle ne détourne pas le regard. Les enjeux sentimentalo-sexuels de Deep Water sont d’un tout autre niveau : est-il véritablement, comme il l’affirme, l’opposé du mari jaloux ? Les aventures extraconjugales de Melinda, qui semblent consenties par lui aussi, font-elles l’objet d’un jeu de séduction à l’intérieur même du couple ?
Adrian Lyne actualise la grande tradition du genre qui l’a imposé comme un nom incontournable de l’Hollywood des années 1980 et 1990. D’abord, parce que les scènes de sexe brillent par leur absence : tout au plus montre-t-il des ébats à deux reprises, totalement dénués de sensualité et montés fugitivement, à l’opposé des archaïques canons hollywoodiens avides de sexe.
Ici, le sexe occupe le rôle d’un mécanisme scénaristique, à tel point que le premier acte pousse le spectateur à se demander si Melinda trompe véritablement son mari. De la même façon, le deuxième acte laisse planer le doute quant à la culpabilité ou non du mari. Avant de trouver des réponses définitives, Adrian Lyne glisse, tantôt subtilement, tantôt avec une balourdise entendue (et une bonne dose d’humour noir), des indices, éléments clés du genre qui prouvent qu’à 81 ans, le cinéaste n’a pas perdu la main et sait encore régaler son public.
Aidé par une distribution de choix (Ben Affleck parfait dans une composition minimaliste, un Tracy Letts en roue libre; seule Ana De Armas est légèrement en dessous, son compagnon à l’écran vampirisant toute la dimension ambigüe de leur couple) et transformant même ses ratés en forces, Deep Water a beau être une résurrection éphémère du thriller érotique, il dépasse largement le plaisir coupable pour se poser en véritable proposition originale face à une industrie qui défend sa chasteté bec et ongles.
Adrian Lyne actualise la grande tradition du thriller érotique