Cette semaine, « Coprus Christi », de Jan Komasa.
Dès l’ouverture, deux scènes suffisent au réalisateur Jan Komasa pour poser son intention et dévoiler celui qui va porter sa parole. Un même visage, émacié, qui prend toute la place. Celui de Daniel, pensionnaire d’une maison de correction. D’abord tendu, inquiet, quand, sans broncher, il doit faire le guet alors qu’un autre jeune détenu se fait sauvagement tabasser en arrière-plan. Ensuite enthousiaste, presque possédé quand il absorbe, sans en perdre une miette, les paroles de son mentor, le père Tomasz, avant de chanter à son tour les louanges de Dieu devant ses camarades d’infortune…
Le bien et le mal dans un seul corps, celui de l’acteur Bartosz Bielenia, qui porte le film à lui tout seul. Une vraie gueule de cinéma, qui rappelle le jeune Christopher Walken ou Ewan McGregor en mode Trainspotting, croisée avec un Droopy aux énormes yeux tristes, bleu turquoise. C’est d’ailleurs sa superbe incarnation, tout en équilibre et en tension, qui a permis à la troisième offrande du cinéaste polonais – après La Chambre des suicidés (2011) et Insurrection (2014) – d’être nommé cette année aux Oscars comme meilleur long métrage étranger (récompense finalement attribuée à Parasite du Coréen Bong Joon-ho).
Inspiré d’une histoire vraie, le récit raconte le parcours d’un jeune meurtrier cherchant l’absolution par son engagement dans l’Église. Daniel, donc, qui doit malgré tout se faire une raison : avec son passé de délinquant marqué par un homicide, il ne sera jamais prêtre, qu’importe la force de sa foi. Reste alors à baisser la tête, encaisser les coups et faire une croix sur ses rêves. Mais, alors qu’il profite d’une semi-liberté pour rejoindre un atelier de menuiserie, il s’arrête dans une église. Là, interrogé par une villageoise, il se déclare prêtre (car il a subtilisé une soutane dans ses bagages). De fil en aiguille, il va être amené à remplacer le vieux curé malade du village…
Corpus Christi (étrangement traduit par La Communion en français) est avant tout une question de rédemption. Celle que cherche justement, au plus profond de lui-même, le personnage principal, déchiré entre sa violence dure et sa douce ferveur, son passé gâché et son avenir en pointillé. Mais les notions de péché, de pardon, de croyance et de deuil concernent aussi ses paroissiens, une communauté tout entière traumatisée par un récent drame de la route. Un village où les non-dits, le chagrin, l’hypocrisie, la haine, la rancœur et l’esprit de vengeance s’enracinent comme de la mauvaise herbe.
La souffrance y est sensible, seulement tempérée par le charismatique prêtre, dont le style, improvisé, et les passions (pour la drogue, la clope et les filles) dénotent dans la grisaille ambiante. Quand une mère vient confesser les difficultés qu’elle rencontre avec son fils, il lui conseille d’aller faire du vélo avec lui. Et plutôt que d’user du goupillon, c’est à pleines mains qu’il asperge ses fidèles d’eau bénite…
Comme c’est souvent le cas avec les films sur la religion, Jan Komasa cherche parfois l’esthétique à outrance, avec des plans visuellement intenses mais un brin forcés (le jeune prêtre auréolé, dans l’église, d’une lumière divine). Mais cela ne dessert en rien ses propos, tournés également vers son propre pays, la Pologne, fracturée, délaissant ses ternes campagnes, en proie à la misère et au conservatisme. Le réalisateur cherche toutefois, à travers son geste, une plus grande amplitude, décidé à rompre avec les idées faciles : oui, les notions du bien et du mal sont une chose complexe. Il n’y a pas des innocents d’un côté et des coupables de l’autre. Il dira encore que le péché est partagé par tout le monde et que, dans le même sens, le pardon est pour tous. Un message de bienveillance résumé dans le personnage de Daniel : alors qu’il peut être démasqué à tout moment et repasser par la case prison, il cherche surtout, à sa manière, à amener la paix dans cette communauté blessée et à racheter ses propres fautes. Suffisant pour se sauver ? Comme on dit, les voies du Seigneur sont impénétrables…
Grégory Cimatti