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[Critique ciné] «Copshop», micmacs au commissariat


Copshop

de Joe Carnahan

Avec Frank Grillo, Gerard Butler, Alexis Louder, Toby Huss…

Genre action

Durée 1 h 47

Joe Carnahan traîne depuis quelques années une réputation, bel et bien méritée, qui l’a amené à être comparé à Guy Ritchie, voire Quentin Tarantino. Le rapprochement est pour le moins agréable, au plus gratifiant, mais, il faut le dire, un peu précipité. Car Joe Carnahan est avant tout Joe Carnahan, et il est difficile de le réduire à des comparaisons. Surtout qu’à l’inverse des deux grands noms cités précédemment, lui n’est pas tellement apprécié des studios, eux qui repoussent ou se désintéressent habituellement de ses projets. Artiste de la surprise, élément indispensable à ses scénarios et dont il aime abuser, il fait un retour fracassant en pleine pandémie et après sept ans d’absence – en 2014, l’excellent Stretch n’avait même pas eu l’honneur des salles, condamné à être sous-estimé – avec non pas un, mais deux films : plus tôt cette année, il revisitait le concept de la boucle temporelle sauce fusillade avec le sympathique Boss Level, sur la plateforme vidéo d’un fameux site de commerce en ligne. En revanche, c’est au cinéma que Copshop s’apprécie, et à juste titre.

Les plaines du Nevada resurgissent d’un autre temps. Les voitures sont sales, les routes poussiéreuses. Le western comme porte d’entrée au film, mais dans un imaginaire déphasé, comme ce «food truck» étonnamment prisé alors même qu’il est en plein désert. Comme dans un western, les personnages sont les pions du scénario, acteurs d’un monde qu’ils croient maîtriser et, de ce fait, en sont prisonniers. À ce titre, l’entrée en matière touche juste : pour échapper à un tueur, Teddy Murretto (Frank Grillo) cherche à se faire enfermer. Pour cela, il frappe l’agent de police Valerie Young (Alexis Louder) et finit derrière les barreaux du commissariat de la petite bourgade de Gun Creek. Mais le même soir, le mystérieux Bob Viddick (Gerard Butler) parvient lui aussi à finir en détention, se faisant passer pour un conducteur ivre. Dans leurs cellules respectives, les deux hommes semblent se connaître et ont quelques comptes à régler, mais l’agent Young est déterminée à découvrir le mystère qui entoure leur présence…

Avec les influences à peine masquées de Rio Bravo (Howard Hawks, 1959), Assault on Precinct 13 (John Carpenter, 1976) ou Last Man Standing (Walter Hill, 1995), Copshop est un film d’un autre temps, où la valeur de ce qui est montré à l’écran ne se compte pas en dollars mais en plaisir. Ainsi, le scénario déroule toutes les mécaniques du film d’action classique, à ceci près que Joe Carnahan se réserve le plaisir espiègle de garder ses deux stars derrière les barreaux pendant toute la première moitié du film. Et présente son actrice principale, excellente, à travers la vie du commissariat dans ce qui sera tout sauf une journée type. Toujours avec une âme d’enfant rebelle, Carnahan place l’action dans un commissariat où il ne se passe rien : les collègues mangent, discutent, boivent du café, lisent les journaux – «C’est à peu près tout ce que je fais ici», dit Valerie –, concourent pour désigner la gâchette la plus rapide…

Leur quotidien est ennuyeux à mourir. C’est justement le destin qui leur est réservé dans une longue séquence clé introduisant un nouveau personnage, qui renverse complètement le film, éradiquant avec fureur tout ce qui avait été construit jusqu’alors. Toby Huss, visage marquant de la télévision américaine des années 1990 pour ses publicités délirantes sur MTV, enrichit sa galerie de personnages en incarnant une synthèse de ceux-ci, doublés d’un tueur psychopathe. La séquence est centrale aussi parce qu’elle donne progressivement un nouveau rythme au film, avec un sens décomplexé du montage.

Puis, quand les deux lions sont enfin libérés de leur cage, les déflagrations, l’hémoglobine et les trouvailles scénaristiques prennent le pas sur les lignes de dialogue. Ce qui n’empêche pas les auteurs du script – Joe Carnahan et Kurt McLeod, d’après une histoire de Mark Williams, créateur de la série Ozark – de poursuivre la tradition des «punchlines» chère au cinéma d’action. Gerard Butler, retrouvant ici son «mojo» d’antan, se réserve les meilleures, mais ses acolytes ne sont pas en reste : la policière veut parler «d’homme à homme» avec Murretto, à son tour moqué plus tard pour ses cheveux en chignon, «comme Tom Cruise dans ce film de samouraï que personne n’a vu». Plus tard, dans un ralenti qui souligne l’ironie, Frank Grillo, de dos, lâche ses cheveux… comme Tom Cruise dans The Last Samurai (Ed Zwick, 2003). C’est à cela, simplement, que tient Copshop, du début à la fin : des promesses qui se transforment en surprise, et le sentiment constant que tout peut arriver. Une manière, pour Joe Carnahan, de faire un commentaire sur ce que devrait être le cinéma d’action : le divertissement le plus libérateur qui soit.

Artiste de la surprise, Joe Carnahan laisse infuser dans Copshop le sentiment constant que tout peut arriver

Valentin Maniglia