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[Critique ciné] «Bottoms» : la meilleure défense, c’est l’attaque


(photo DR)

Cette semaine, Le Quotidien a choisi de regarder la comédie Bottoms d’Emma Seligman avec Rachel Sennott, Ayo Edebiri, Ruby Cruz…

Nombreux sont les films cultes du cinéma populaire américain à avoir été découverts sur le tard, souvent grâce à leur distribution en vidéo, puis (re)devenus pertinents à la lumière du monde actuel et d’une nouvelle génération de cinéastes qui porte cette culture dans son ADN.

C’est le cas de Heathers (Michael Lehmann, 1989), comédie de lycée qui se démarque du reste des très identifiables «teen movies» par sa noirceur et sa violence; de St. Elmo’s Fire (Joel Schumacher, 1985), drame adolescent qui fait infuser la paranoïa ambiante de l’époque vis-à-vis de l’épidémie de sida, et qui est l’un des premiers films «mainstream» pour jeunes audiences à aborder frontalement la question de l’homosexualité (masculine); de The Lost Boys (1987), où le même Schumacher utilise le genre horrifique comme parabole sur la désillusion de la génération X et son refus de se plier aux normes sociales – donc d’entrer dans l’âge adulte.

Bottoms a, lui, été directement distribué en vidéo (via la plateforme de streaming d’Amazon) et, s’il est désobligeant d’en parler déjà comme d’un «classique instantané», il ne fait aucun doute que le deuxième long métrage d’Emma Seligman est voué à être vu dans le futur comme un immense objet de culte.

Comme les films cités précédemment, Bottoms prend le «teen movie» à contrepied, sans pour autant renier ses lieux communs. Ainsi, PJ (Rachel Sennott) et Josie (Ayo Edebiri), deux meilleures amies homosexuelles, sont mises au ban du lycée de Rockbridge et obsédées par la perte de leur virginité. Précédées par leur réputation – et les rumeurs qui vont bon train dans les couloirs de l’école –, PJ et Josie mettent en place un stratagème pour enfin attirer l’attention de leurs «crushes».

Jusque-là, rien de nouveau sous le soleil. Sauf que leur idée est de créer un club de combat au nom de l’«empowerment», et sans coups interdits. La première règle de ce «fight club» ? En parler, pour inviter les filles du lycée à apprendre à se défendre contre les hommes violents – à commencer par ceux de Huntington, l’établissement rival, qui promettent de semer le trouble à Rockbridge lors de leur choc imminent sur un terrain de football américain. PJ et Josie, qui n’ont créé le club que pour s’attirer les faveurs de Brittany (Kaia Gerber) et Isabel (Havana Rose Liu), voient leur entreprise leur échapper.

Une drôle de comédie, dans tous les sens du terme. Violente, inconfortable mais toujours hilarante

À la cruauté des dialogues qui abordent le sexe sans tabou, héritage d’American Pie (Paul Weitz, 1999) et de Superbad (Greg Mottola, 2007), s’ajoute la violence graphique : nez cassés, effusions de sang, yeux au beurre noir… En invitant leurs camarades à se battre, PJ et Josie, qui s’autodéfinissent comme «homosexuelles, dénuées de talent et moches», engagent tout le monde à s’enlaidir et, par là même, transforment la violence et le rejet qu’elles ont subi en force créatrice de liens d’amitié.

À l’image de son sanglant massacre final qui, paradoxalement, fait enfin trouver à ses personnages le sentiment de sororité, Bottoms s’empare de thèmes bien ancrés dans l’époque (la violence faite aux femmes, le harcèlement, la masculinité toxique, la représentation des minorités – ethniques et sexuelles – à l’écran) avec un ton trempé dans le vitriol. Emma Seligman et Rachel Sennott, auteures du scénario, se fendent d’un geste subversif en pointant, à travers la caricature, les complexités des multiples discours féministes de notre temps.

Plus encore que Clueless (Amy Heckerling, 1995), Mean Girls (Mark Waters, 2004) ou les comédies adolescentes de John Hughes – des références toutes bien présentes à l’écran –, Bottoms renvoie à l’insolence chaotique de If… (Lindsay Anderson, 1968) et à la brutalité de Scum (Alan Clarke, 1979).

L’impressionnante énergie de son duo d’actrices le confirme. C’est une drôle de comédie, dans tous les sens du terme, inconfortable et, pourtant, toujours hilarante. Car Emma Seligman signe aussi une vraie déclaration d’amour pour ces films qui rappellent une époque précise, les années 1980-1990, où l’on parlait de l’âge ingrat avec plein de bons sentiments; mais puisque son film à elle est bourré d’explosifs, c’est par l’absurde, percutant (mention spéciale aux sportifs qui ne se déplacent qu’en faisant des cabrioles et, surtout, à Mr. G, sans conteste le pire prof qui puisse exister, mais assurément l’un des meilleurs personnages du film), qu’elle se démarque. Bottoms est à la fois familier et unique. Bref, culte.