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[Critique ciné] «Blanquita», à la recherche de la vérité


(photo DR)

Critique de « Blanquita » de Fernando Guzzoni, avec Laura López, Alejandro Goic, Amparo Noguera…

Blanquita a 18 ans et a passé la plus grande partie de sa vie dans le foyer pour mineurs du père Manuel, au milieu d’autres enfants aux vies endommagées. Elle s’est enfuie quelque temps puis est revenue, à la majorité, pour aider le père Manuel et y élever son bébé. Peut-être que les autres pensionnaires sentent avec Blanquita, de par son âge et son expérience, une connexion spéciale, différente de celle qu’ils ont avec le prêtre. C’est le cas de Carlos, le garçon le plus fragile et réservé de l’orphelinat, qui trouve en elle une amie et confidente. Ils partagent les mêmes cicatrices : comme Carlos, Blanquita a été victime de viols répétés dans son enfance.

Si la jeune femme a aujourd’hui surmonté ses blessures, elle y revient en un éclair lorsqu’un scandale de pédophilie éclate, qui inclut des personnalités des hautes sphères de la société chilienne – de riches hommes d’affaires et des politiciens. Elle reconnaît l’un de ses agresseurs et devient le témoin clé de l’affaire. Alors que l’attention de la justice et des médias est rivée sur Blanquita, reste à savoir qui, de la victime ou de l’accusé, brisera l’autre en premier.

Le troisième film du cinéaste chilien Fernando Guzzoni, coproduit au Luxembourg, est inspiré d’un fait réel, l’affaire Spiniak, qui a secoué le Chili au début des années 2000. Il pourrait tout aussi bien s’être inspiré d’autres affaires de réseaux pédophiles; ce sont les victimes qui importent, ici, et l’importance de leur parole. Un sujet qui soulève le débat partout où il passe, et qui cache deux questions sous-jacentes : le sens donné au statut de victime et les limites, morales ou autoimposées, de la justice.

Quelle est réellement la place de Blanquita dans cette affaire qui la dépasse? A-t-elle le droit de choisir qu’elle est victime ? Et si oui, doit-elle s’obliger à apparaître en tant que telle, en donnant au public ce qu’il attend, afin de souligner sa condition? Dire en face à un homme dont elle sait la culpabilité qu’il est un gros porc a un effet libérateur, et tant pis si on le lui interdit.

Avec #MeToo est arrivé un slogan qui sonne comme une leçon : «Believe women». Mais la vérité que ces deux mots veulent capturer occulte l’existence de femmes qui mentent et, mieux, de femmes qui mentent pour obtenir la vérité. C’est dans cette zone grise que se joue le film : de quoi Blanquita est-elle victime, au juste? D’abus sexuels ou d’entrave à la justice? Dans un système qui, sans le dire, oppose le tout noir au tout blanc, sa position est délicate.

Sa première confession officielle, elle la donne à deux femmes, une psychologue et une juge. Cette dernière dira en privé au père Manuel : «Je sais que Blanquita ment, mais je sais aussi que le sénateur qu’elle accuse est coupable de tout ce qu’elle dit avoir subi.» Le poids du secret et de l’inaction encourage une autre femme à mentir pour approcher la vérité; mais après cela, Blanquita n’aura pratiquement plus affaire qu’à des hommes dans sa quête de justice.

 

Dépassant à peine l’heure et demie, le film passe son temps à contourner les impasses par le mensonge, le bluff et la surenchère, comme on essaierait de tricher dans un labyrinthe en grimpant sur les murs. Mais à chaque nouveau mensonge, l’affaire gagne en ampleur et devient plus dangereuse pour Blanquita et Manuel. Le prêtre au visage buriné parle avec le cœur mais ne fait aucune concession; Fernando Guzzoni glisse même une scène forte entre lui et un évêque qui l’exhorte à mettre fin aux poursuites envers ce ministre qui apporte tant à l’Église.

«Une Église entachée par les scandales sexuels gagnerait à démasquer les violeurs», rétorque Manuel, impassible. En quelques mots, Guzzoni pointe du doigt le problème : celui d’un pays corrompu où politique, justice et clergé vont main dans la main, dans un système qui vit avec le fantôme de la dictature militaire.

La performance de Blanquita (double, puisqu’il s’agit aussi de la performance de l’actrice, Laura López), au-delà du mensonge, consiste surtout à connaître dans les moindres détails des faits abjects, qu’elle apprend, recrache et fait subir au spectateur. Preuve que les mots sont parfois aussi insoutenables que les images. Mais ce n’est rien à côté de la violence systémique, qui empêche les vraies victimes de s’exprimer, parce que trop fragiles, laissant alors la balance de la justice pencher du mauvais côté.

Peut-être, finalement, que son exposition médiatique profitera à Blanquita, persuadée qu’on se souviendra d’elle comme de la seule qui croyait en la recherche de vérité. Et d’en asséner une dernière à son juge et bourreau : «Ce que vous dites, c’est qu’ils peuvent violer, mais moi, je ne peux pas mentir?»