Face à la caméra, il clame, le plus sérieusement du monde : «Aux États-Unis, il y a eu Martin Luther King; en Afrique du Sud, il y a eu Nelson Mandela; en France, il y aura Jean-Pascal Zadi !». L’appel se veut solennel, alors que derrière lui, sa femme, blanche, indifférente au discours, s’agite en cuisine et le coupe régulièrement pour qu’il aille chercher leur fils à l’école…
Dès les premières images, Tout simplement noir ne masque pas ses intentions et le procédé pour y parvenir : parler de la cause noire en France où, par écho, le mouvement Black Lives Matter s’est immiscé, pour mieux se moquer des clichés communautaires, du racisme ordinaire et du militantisme de façade, le tout à travers un vrai-faux documentaire à l’humour mordant. On découvre donc Jean-Pascal Zadi, 40 ans, connu dans l’Hexagone pour ses actions dans le rap et le cinéma «underground», aujourd’hui à la tête de son tout premier film notable qu’il a réalisé en compagnie du photographe John Wax. Dedans, il incarne, sous les yeux d’une équipe de tournage qui le suit partout, un acteur raté, qui décide, «en colère», d’organiser la première grosse marche de contestation noire à Paris parce que le «Y’a bon Banania, c’est terminé !». Son ambition sera donc de mobiliser un maximum de monde, d’abord en faisant le buzz sur internet à travers des performances amusantes (mais non sans fond), ensuite en cherchant à se faire entendre des «personnalités influentes de la communauté», qui pourraient ainsi se faire relais de sa cause…
D’où la question, centrale, qui se pose : est-il activiste ou simple opportuniste ? Un peu des deux finalement! D’un côté, on le suit dans son chemin de croix pour décrocher un rôle dans une industrie du cinéma qui aime les cases et les catégorisations faciles. Pire, comme compagnon de croisade, il trouve l’humoriste Fary, surfant sur la colère politique pour renforcer son image écornée à la suite d’une publicité malencontreuse. De l’autre, on voit rapidement que son activisme nouveau vient plus du cœur que de la tête, son envie de fédérer allant alors d’échec en échec… Ça débute souvent par des accolades et des formules d’usage («frère», «sœur», «cousin», «tonton») et ça finit généralement dans des coups de gueule et empoignades, au mieux dans des silences gênés… Au milieu de cette hystérie identitaire, Jean-Pascal Zadi, maladroit et irréfléchi, ouvre le débat, bien plus compliqué qu’il n’y paraît. C’est d’ailleurs sa seule fonction, lui qui finit souvent sur le trottoir, jeté par ses interlocuteurs qui, crédibles ou non, cherchent à se faire une place dans la mêlée (femme, blanc, métisse, arabe, juif…).
Tout simplement noir, dans sa forme, pourrait être taxé de facile. On a là, en effet, un film à sketches, résumé à une succession de rencontres où chacun des protagonistes joue son propre rôle. Parallèlement, si l’intention de Jean-Pascal Zadi était de lancer la discussion, c’est franchement réussi ! Dans ce sens, la batterie de personnalités artistiques et culturelles conviées à l’écran se suffit à elle-même : Fabrice Eboué et Lucien Jean-Baptiste s’engueulent et en viennent aux mains en plein restaurant, le footballeur Vikash Dhorasoo compte organiser une contre-manifestation avec des «Indiens», Ramzy Bedia et Jonathan Cohen tombent dans une sorte de concurrence victimaire… Le seul, finalement, touché par l’intention est Éric Judor, se sentant pourtant «100 % autrichien», mais finissant quand même en boubou et avec le mégaphone. La liste des invités est longue (Claudia Tagbo, JoeyStarr, Soprano, Karen Guiock, Omar Sy, Mathieu Kassovitz…), pour autant de contradictions et de poncifs. Oui, la question d’identité (noire, comme toutes les autres) est complexe, variée. Et l’ignorance, elle, semble tout aussi étendue.
Grégory Cimatti
Tout simplement noir, de Jean-Pascal Zadi & John Wax.