Il n’y a pas autant de drame que dans The Crown, mais Netflix n’en finit pas d’être fasciné par les rois : la plateforme assise sur le trône du streaming mondial a mis en ligne cette semaine son documentaire très attendu sur la légende vivante du football Pelé, au surnom royal.
Dans les premières images, l’ancien prodige du ballon rond apparaît, à 80 ans, poussant un déambulateur avant de s’asseoir, gardant cette posture pendant les près de deux heures de film. Assis avec, pour sceptre, un tabouret de cireur de chaussures, Pelé raconte son parcours et son pays pendant la période de douze ans qui l’a inscrit dans la légende : quatre Coupes du monde jouées entre 1958 et 1970, trois d’entre elles qu’il ramène avec lui au Brésil.
Pelé, c’est aussi l’homme de tous les records, inscrivant son millième but dans la douzième année (allant même jusqu’à en marquer huit dans une seule rencontre), et terminant sa carrière avec 1 281 buts marqués.
Tout cela valait bien un documentaire, cinq ans après le film biographique peu inspiré Pelé: Birth of a Legend (Jeff Zimbalist & Michael Zimbalist, 2016). Réalisé par les Britanniques David Tryhorn et Ben Nicholas, Pelé a pour producteur exécutif Kevin Macdonald, réalisateur des immanquables documentaires biographiques Marley (2012) et Whitney (2018), et pour modèle Asif Kapadia et son flamboyant Diego Maradona (2019), portrait «bigger than life» de la légende du Napoli. Jamais Pelé n’avoue sa révérence à son illustre prédécesseur acclamé à Cannes, mais il est clairement l’objectif à atteindre.
Alors le film tente de s’en démarquer, préférant miser sur la présence en chair et en os du «Rei» plutôt que sur la richesse des images d’archives (pourtant rares et superbement restaurées), qui faisait justement la force de Diego Maradona. La comparaison est inévitable, non seulement pour leurs sujets respectifs, mais aussi pour le peu de temps qui sépare les deux films.
Mais outre sa forme extrêmement convenue, le documentaire, qui peut compter sur un riche panel d’intervenants, de la sœur du footballeur jusqu’aux superstars de la Seleção de l’époque, dont Gérson et Mário Zagallo (qui gagne la Coupe du monde en 1958 et 1962 sur le terrain avec Pelé, et en 1970 comme entraîneur de la sélection nationale) en passant par Gilberto Gil, ne creuse pas tellement plus loin que le résumé un peu lisse qu’il offre des quatre Coupes du monde jouées par celui qui a été sacré «meilleur joueur du XXe siècle» par la FIFA (un prix ironiquement partagé avec Maradona).
En Coupe du monde, Pelé est blessé dès le deuxième match en 1962 et le Brésil, tenant du titre en 1966, est éliminé dès le premier tour. On a vu mieux pour honorer un héros
Rappelons que sur les quatre compétitions, Pelé est blessé dès le deuxième match en 1962 et le Brésil, tenant du titre en 1966, se fait éliminer dès le premier tour. On a vu mieux pour honorer un héros…
Il aurait fallu plus qu’une centaine de minutes pour que le contenu du film soit à la hauteur de la réputation du joueur dont il tire son titre. Plus de consistance, aussi. Sa seconde partie retrace en détail l’épopée brésilienne lors de la Coupe du monde 1970 avec la force des images, des ratés magnifiques (le tir piqué du milieu de terrain de Pelé qui frôle le poteau, le but de Jairzinho en finale, sur passe décisive de Pelé, alors que le pied de l’attaquant passe complètement à côté du ballon) aux succès spectaculaires (la tête de Pelé qui ouvre le score contre l’Italie, conjurant le sort qui voulait que, depuis 1946, la première équipe à marquer en finale perde), sur le modèle du dernier épisode bouillonnant d’émotion de The Last Dance.
Mais la première partie du film, elle, survole toutes ses thématiques, même les plus intéressantes : Pelé comme première icône noire du Brésil, les liens entre football et politique à l’époque de l’instauration de la dictature…
Reste un apolitisme toujours assumé du «Roi», qui n’aide pas à répondre aux questions que l’on ne cesse de se poser : son refus de faire de la politique à l’heure la plus sombre de l’histoire de son pays encourage-t-il, même inconsciemment, le régime de la junte militaire? Est-ce par peur d’être emprisonné ou pire (l’ingérence de l’État dans le football est démontrée)? Ou bien est-ce parce que l’amour du sport et son talent mènent automatiquement le peuple brésilien vers une liesse générale qui abolit, le temps d’une victoire, les barrières de la couleur de peau et de la classe sociale?
Pelé est un film assez bavard, mais c’est dans l’image que l’on trouve un début de réponse : celle de Pelé de retour au pays après le triomphe du Mexique, célébrant en public la victoire de la Seleção, tendant la coupe au dictateur Médici, qui la brandit devant la foule. Difficile d’en tirer de bonnes conclusions…
Valentin Maniglia
Pelé, de David Tryhorn et Ben Nicholas. Genre : documentaire. Durée : 1 h 48.