Contrairement aux apparences, le nouveau film de Valérie Lemercier, librement inspiré de la vie de Céline Dion, n’est ni une hérésie ni une lubie de fan. Il doit être vu comme le nouveau projet inclassable d’une artiste inclassable.
Actrice, comédienne, réalisatrice, humoriste et chanteuse, Valérie Lemercier a fait défiler sa carrière entre le drôle et le sérieux, le populaire et le sensible. D’autres femmes et hommes de cinéma auraient pu déceler, dans la vie de la diva québécoise, les moments drôles, les moments tristes et ceux de grâce; trop peu auraient su les traduire dans un film qui sache se démarquer des canons du genre.
Car le biopic est un exercice périlleux pour lequel il semble de bon ton de se plier à une sobriété totale, eu égard à l’immensité du sujet choisi, rarement plus approfondi que le contenu d’une page Wikipedia. À juste titre, Aline devait être le récit d’une femme «ordinaire», comme elle le chante dans la reprise de Robert Charlebois qui ouvre et qui clôt le film; Valérie Lemercier choisit d’en faire un long métrage extraordinaire, à l’image du destin de son modèle. Un pari de taille, car il était difficile de surprendre en faisant le récit d’une vie publique et privée étalée en une de tous les tabloïds depuis des décennies.
Le «twist» est clair, d’emblée : il s’agit non pas d’une biographie mais d’une fiction, rendue évidente par le changement de nom des personnages. Valérie Lemercier joue avec le réel, en propose une version rêvée, fabrique son propre univers artificiel à l’intérieur même d’un genre artificiel par nature. Et s’y emploie avec audace, en incarnant Aline à tous les âges de sa vie, dès ses 5 ans. C’est d’ailleurs son visage, numériquement incrusté sur celui de la jeune actrice qui prête son corps à Aline enfant, qu’elle choisit de montrer en premier, dépassant à peine de l’estrade sur laquelle sa grande famille de musiciens est réunie.
S’il y a quelque chose de drôlement monstrueux dans le procédé de rajeunissement numérique, c’est avant tout parce que la réalisatrice-actrice le pousse à son paroxysme, en effaçant les frontières entre Céline, Aline et Valérie, toujours guidée par l’extraordinaire (au sens premier : qui sort de l’usage ordinaire) que seule la fiction peut exprimer. Qui ravive, aussi, les souvenirs d’un sketch parodique, au début des années 1990, où Valérie Lemercier, à genoux et cheveu sur la langue, jouait la chanteuse en herbe invitée dans l’émission L’École des fans, aux côtés des Nuls. Le premier des nombreux parallèles entre l’auteure et son sujet, soulignant la fonction cruciale de la fiction comme miroir déformant de la réalité. Dans ces improbables analogies, on pense aussi souvent à Annette, le film de Leos Carax sorti plus tôt cette année, et son poupon en papier mâché filmé comme un véritable bébé.
Au fur et à mesure qu’Aline grandit, que les trucages sont de moins en moins visibles, jusqu’à disparaître complètement, le film se métamorphose lui aussi. Le monstrueux, lui, continue d’exister à travers la musique : de même qu’Aline Dieu chante les chansons de Céline Dion – on les entendra toutes, de D’amour ou d’amitié à My Heart Will Go On –, la voix, qui est celle de la chanteuse Victoria Sio, est autant une imitation (brillante) de la diva que le «vrai» chant de sa «fausse» version. Les premiers titres se succèdent dans la mission purement didactique, qui vise à raconter simplement les débuts d’Aline, puis prennent de la profondeur, en mettant en résonance ce qui est chanté et ce qui est montré (ou suggéré), jusqu’à ce que la voix n’existe plus que par elle-même, dans une parfaite scène finale.
La structure musicale va de pair avec celle du film, qui voit Aline exister d’abord à travers les yeux de sa mère, puis ceux de son imprésario et unique amour, Guy-Claude – la version fictive de René Angélil, qui trouve un divin sosie en la personne de Sylvain Marcel –, pour finalement devoir assumer l’existence de son propre regard. Le dialogue s’étiole pour faire parler les sentiments, avant de laisser la musique faire son travail dans une errance hypnotique à travers Las Vegas, vidée de ses habitants et touristes. C’est un moment suspendu dans le temps, silencieux et mélancolique, qui permet à Valérie Lemercier de toucher le cœur de son récit : capturer l’essence de son personnage en même temps que les pouvoirs du cinéma, désormais dépouillés de tous leurs artifices, capturent le regard.
Valentin Maniglia
Un film tout en finesse et douceur des comédiens magnifiques une Valérie époustouflante. La salle à applaudit à la fin .je vous invite à découvrir ce film sans tarder vous allez être emporté.