Cette semaine : Adieu les cons, d’Albert Dupontel Avec Virginie Efira, Albert Dupontel, Nicolas Marié… Genre : comédie dramatique. Durée : 1 h 27.
Tant que le monde cartoonesque d’Albert Dupontel continue de tourner, c’est que le monde réel continue d’être malade. On lui souhaite même de ne jamais guérir, si le remède devait nous priver de la flamme punk du cinéaste de 56 ans.
Qui mieux qu’Albert Dupontel sait raconter les démunis et les oubliés dans une société où l’autorité toute puissante des nantis est acceptée comme la norme? Posons la question autrement : qui nous aurait donné à suivre l’odyssée déglingo d’un rescapé de la DDASS à la recherche de ses parents, qui l’ont abandonné dans une poubelle, ou encore le changement de vie d’un SDF sniffeur de colle vêtu d’un uniforme de police abandonné? Un épisode de Strip-tease, peut-être. Ce ne sont pas juste ceux que l’on ne voit pas : ce sont ceux que l’on ne veut pas nous montrer. Trop en marge, mais bien réels. Alors ils trouvent refuge dans la jungle bétonnée trash et baroque d’Albert Dupontel.
La nouvelle figure de ce grand bal des estropiés est Suze Trappet. Elle a l’air à peine ébréchée à l’extérieur; dedans, c’est un champ de ruines. Suze a 43 ans, elle est coiffeuse et vient d’apprendre qu’elle est atteinte d’une maladie incurable qui ne lui laisse que très peu de temps devant elle. Elle décide donc de partir à la recherche du fils qu’elle a eu à 15 ans, né sous X, avec deux compagnons d’infortune, le «geek» suicidaire JB et Blin, un archiviste aveugle. Le casting est parfait : Virginie Efira, Albert Dupontel et une impayable garantie burlesque, Nicolas Marié.
Dans Adieu les cons, son septième long métrage, Dupontel continue d’être obnubilé par l’administration et ses mille et un secrets. Si Bernie (1996) mettait en scène le fils non désiré, intrus de la famille et rebus de la société, c’est aujourd’hui la mère qui intéresse le cinéaste, avec, sans véritable surprise, un chemin tout aussi labyrinthique dans la paperasserie à la recherche de l’enfant abandonné.
Elle veut vivre, mais va mourir…
Le film est sobre, plus que ce que l’on croit, mais le grand pote de Terry Gilliam – qui y fait son apparition traditionnelle, cette fois dans le rôle d’un vendeur d’armes à feu aux messages publicitaires aussi ringards qu’un clip de Joe Exotic – fait plus que jamais montre de l’influence de l’ex-Monty Python.
Le monde orwellien de Brazil (1985) est devenu réalité : Paris n’est pas connue pour être la métropole la plus au fait de la technologie, mais on y est constamment pisté, les déplacements des personnages sont suivis en temps réel avec une marge d’erreur quasi nulle (quelques mètres, un étage), le tout contrôlé par une police qui a les contours patibulaires des agents de la CIA et qui ne parle que pour aboyer des ordres.
Alors oui, dans ce monde, le génie de l’informatique JB est un intrus. Lui seul sait déjouer la technologie dominatrice faite, en apparence, pour protéger et servir (comprendre plutôt : posséder et asservir), et c’est ce qui le rend particulièrement dangereux aux yeux de la société (ça, plus une tentative de suicide ratée qui a gravement blessé le salarié du bureau d’à côté).
Il est aussi le meilleur atout de Suze dans sa quête du fils perdu parce qu’il est son opposé : elle veut vivre mais va mourir, lui veut mourir mais subit sa peine. Elle déborde d’émotions, lui n’en laisse paraître aucune. Dans sa vie de chef de sécurité informatique le jour, hacker la nuit, qui se résume à des 0 et des 1, des 1 et des 0, des 0 qu’il force à être des 1 et inversement, l’imprévu du sentiment n’a pas sa place.
Car Adieu les cons a beau avoir le rythme «anar» des premiers Dupontel et une esthétique loin de tout conformisme (mais toujours sans esbroufe), où l’on regarde les personnages à travers des écrans, des trous dans le mur et sous des voitures, c’est surtout un film sur l’amour, sa quête et sa signification. Ce qu’étaient, à leur manière, Neuf mois ferme (2013) et Au-revoir là-haut (2017), ses deux précédents films, mais qui trouve ici, avec un Dupontel en pleine possession de sa folie, sa forme définitive : l’amour comme lutte finale contre l’absurdité du monde.
Valentin Maniglia