Baz Luhrmann, roi du cinéma ultraclinquant, s’attaque à Elvis Presley pour son nouveau film, biopic étourdissant porté par une performance folle d’Austin Butler.
On gardera bien l’image que l’on voudra d’Elvis Presley, celle du jeune rockeur rebelle qui remue ses hanches de façon insolente ou celle du chanteur bedonnant trop à l’étroit dans sa combinaison blanche sertie de strass ; l’histoire, elle, s’est chargée d’immortaliser sa silhouette – rouflaquettes, banane et guitare en bandoulière – dans la légende.
Cela dit, dans le cas de la première star mondiale de la musique, il existe autant de versions de la légende que de personnes qui l’ont racontée. Y compris pour ceux qui croient que le «King» aurait falsifié sa propre mort en 1977 pour se la couler douce à Hawaï, où il aurait été depuis rejoint par Michael Jackson et 2Pac.
Inutile de dire que le biopic signé Baz Luhrmann, en salles aujourd’hui, ne fait bien sûr état d’aucune théorie du complot. Quant à la légende, Elvis en raconte un peu toutes les versions, tout en créant la sienne.
Près de dix ans après The Great Gatsby (2013), le cinéaste australien connu pour son style excessif et ouvertement kitsch vise encore plus haut pour son retour sur grand écran. De fait, Elvis est forcément le film de tous les superlatifs, d’abord pour son sujet, qui vaut bien ses près de trois heures. «Ce film dépasse le simple biopic», affirme la productrice Gail Berman dans le dossier de presse.
On dépasse même la simple expérience cinématographique : Baz Luhrmann nous invite à monter à bord d’un grand huit ultraclinquant qui, une fois lancé, devient inarrêtable. Le réalisateur explique : «Tout comme Marilyn Monroe n’est pas qu’une banale star de cinéma – elle incarne une époque, une sensibilité, un pays, une mythologie –, Elvis (…) est passé de chauffeur routier au statut d’homme le plus célèbre du monde en un éclair (…) La fulgurance avec laquelle Elvis est devenu riche et célèbre était totalement inédite et (…) comme il l’a dit par la suite : « C’est très difficile de rester à la hauteur de son image ».»
Au réalisateur de Moulin Rouge ! (2001), donc, de se montrer à la hauteur de l’image du roi du rock’n’roll. De son enfance à Tupelo, Mississippi, à sa prison dorée au sommet de l’International Hotel de Las Vegas, la vie d’Elvis Presley est racontée à la manière de ces puzzles pour enfants qui consistent à relier les points numérotés : l’image définitive apparaît peu à peu, et elle se révèle, finalement, à hauteur de la légende.
C’est peut-être aussi parce qu’elle est racontée par un narrateur controversé : le «colonel» Tom Parker, unique manager d’Elvis, qui l’aura appelé «mon garçon» toute sa vie, moins par affection que pour s’octroyer la place d’un père impuissant à de viles fins.
Aidé par une épaisse couche de maquillage et des prothèses, on oublie que Tom Hanks est la quintessence de l’Américain moyen dans ce qu’il a de plus adorable – on oublie aussi que c’est Forrest Gump qui a appris à Elvis ses mouvements de bassin – et on reste obnubilé par sa présence malfaisante qui évoque un gobelin (dans le film, Elvis le décrit comme un «extraterrestre»).
On a eu une chance folle de trouver Austin (Butler) parce qu’il a réussi à chanter comme Elvis le faisait à cette époque
Le colonel Parker a gardé de son ancienne vie de forain sa gouaille et son talent pour la manigance, et les utilisera pour faire d’Elvis sa marionnette et sa vache à lait. «C’est le roi de l’enfumage» et «se moque pas mal de la musique», explique Baz Luhrmann. «Il cache la réalité aux gens, mais d’une manière qui les enthousiasme (…) C’est une manipulation psychologique et affective» qui mènera le «King» à sa perte, même si le scénario fait dire à Parker, en bon margoulin, que c’est «l’amour des fans» qui a tué Elvis.
La «première interrogation» du colonel, poursuit le réalisateur, «c’est de savoir comment s’y prendre pour gagner le maximum d’argent, sans vraiment se soucier de la liberté de création ou du bien-être spirituel d’Elvis».
Comme dans toute fête foraine, ce film monumental a son attraction principale, avec son nom – cinq lettres – qui brillent inlassablement. Elvis, c’est Austin Butler; Austin Butler, c’est Elvis. L’acteur de 30 ans est une véritable sensation.
Plus encore que sa ressemblance confondante avec le rockeur, c’est son charisme fou qui brille aussi fort que toutes les lumières de Las Vegas. «On a eu une chance folle de trouver Austin parce qu’il a réussi à chanter comme Elvis le faisait à cette époque, avec cette voix caverneuse et rock’n’roll de ses débuts», dit Baz Luhrmann.
L’acteur est clairement né pour «être» Elvis – la légende comme l’homme –, mais de toute évidence, il a travaillé dur pour livrer cette performance époustouflante. C’est lui qui est le centre de l’attention, et la réalisation excessive de Baz Luhrmann est l’écrin luxueux dans lequel il évolue. Deux séquences risquent de rester dans les mémoires : celle du Louisiana Hayride, premier grand concert d’Elvis, et la répétition du premier concert de Las Vegas, où Elvis s’improvise chef d’orchestre.
Les puristes pourront s’amuser à débusquer les erreurs et ce qui n’est pas discuté. On peut tout à fait questionner le rôle mineur que joue Priscilla et mettre cela en relation avec la position que l’ancienne épouse du «King» occupe aujourd’hui dans la société qui gère son héritage.
On tique aussi parfois devant la relation entre Elvis et la communauté noire : sa musique, qu’on dit «volée», est plutôt présentée comme un hommage, éléments biographiques à l’appui. On n’en doute pas, mais Luhrmann oublie (volontairement ?) qu’Elvis était un républicain convaincu, qu’il avait rencontré Richard Nixon et qu’il détestait les Beatles; tout cela est contredit ici.
De toute évidence, tout n’est pas vrai dans le récit de légende qu’est Elvis, mais le but était avant tout de faire – dans les mots du colonel Parker – «the greatest show on Earth». Pari réussi.