Les éditions Akata réunissent sous une même bannière du manga trash, bizarre, surréaliste et pas si dépourvu de sens que ça… Des œuvres sans limites pour lecteurs aventureux.
D’année en année, le manga, aux productions tentaculaires, envahit le marché. Il suffit de voir le carton qu’il fait en France, avec près de 40% du volume des ventes de BD et quelque 50 millions d’albums écoulés par an. Dans le lot, bien sûr, on trouve les champions du genre (One Piece, Naruto, Dragon Ball…), ceux qui font l’excitation du moment (L’Attaque des Titans), mais aussi des choses qui prennent moins de place, peut-être trop excentriques pour prendre la lumière.
Les éditions Akata, longtemps rattachées à Delcourt et aujourd’hui indépendantes, se sont pourtant mis en tête de célébrer la singularité et l’audace à travers une collection qui fait parler d’elle : la bien nommée «WTF ?!» pour «What the fuck», expression qui colle assez bien à l’étonnement que l’on peut éprouver devant certaines histoires. C’est même clairement le but et cela offre au passage de belles possibilités éditoriales à Akata (au vu de tout ce qui se fait au Japon) et le libère du poids de la catégorisation à tout crin, chère au manga.
Parfois, l’effet surprise agit dès la pochette : ici, deux frères bloqués dans une baignoire qui fait office d’embarcation dans un monde apocalyptique façon Waterworld, en mieux (Bathtub Brothers). Là, une autre histoire de famille, improbable, avec des arcs-en-ciel et de la magie (Papa est une licorne). Ou encore celle d’un garçon qui se trimbale son enfant (non désiré), sorte de Golum à écailles (Tu seras un saumon, mon fils). Parmi les vingt séries présentes dans le catalogue, toutes ne sont pas aussi perchées, mais cela donne quand même un peu la tendance.
Que le lecteur soit prévenu : «WTF ?!» s’autorise tout. C’est d’ailleurs sa raison d’être
Car oui, détrompez-vous, on n’est pas uniquement dans la farce facile et grossière : certains titres suscitent aussi l’effroi, comme Magical Girl of the End (NDLR : le premier de la collection). Ou encore cette illustration glaçante, celle de la couverture d’Aime ton prochain, qui ne ment pas sur le contenu, à forte teneur psychotique… Maintenant, une précision d’importance s’impose : si Akata aime la provocation, il apprécie tout autant de donner à réfléchir, se posant, sur son site, à la hauteur d’un modèle bien occidental celui-là : Fluide Glacial. Soit de la BD qui, derrière le rire ou le gore, questionne des sujets d’actualité et met un peu de désordre.
À son échelle, «WTF ?!», collection résolument insolite et hors norme, prend elle aussi des chemins non balisés. D’abord, bien sûr, par son ton et son style invraisemblables. Ensuite par un choix d’ouvrages qui, sans en avoir l’air, s’approprient les classiques du genre (comédie romantique, apocalypse, «survival game»…) pour mieux les détourner. Les exemples ne manquent pas. Ainsi, en mode «battle royale» de l’extrême, on découvre un ancien voyou, transformé de force en femme, livré(e) en pâture à des pervers (Ladyboy vs Yakuzas, l’île du désespoir).
De son côté, le poétique Fullmetal Knights Chevalion évite le graveleux et interroge la notion même d’héroïsme en plongeant cinq valeureux justiciers dans un monde qui n’a plus besoin d’eux… Que dire de ces quatre samouraïs (valeureux protecteurs de Kyoto au XIXe siècle) subitement téléportés dans l’époque contemporaine! Samurai Comeback est une nouvelle preuve que l’on peut s’amuser des codes, avec ces guerriers perdant de leur prestance, prenant des traits grossiers et se comportant comme des potes paumés et allumés.
Akata termine de séduire en sélectionnant des séries qui évitent de s’étirer sur des volumes qui n’en finissent plus et qui, bien que condensées, jouissent d’une vraie qualité dans l’écriture et le dessin. Dans ce sens, saluons quelques auteurs malins à l’imagination débordante (Toshifumi Sakurai, Minoru Furuya, Shôhei Sasaki). Précisons enfin que cette collection, qui n’hésite pas à emprunter d’obscurs sentiers narratifs (sexe, violence, trash), ne sera pas du gout de tout le monde. Que le lecteur soit prévenu : «WTF ?!» s’autorise tout. C’est d’ailleurs sa raison d’être.
Grégory Cimatti