Pour son premier livre, Ne m’oublie pas (éditions Le Lombard), la jeune Belge Alix Garin s’empare du douloureux sujet qu’est la maladie d’Alzheimer pour en faire une histoire touchante sur la fin de vie et l’importance de la transmission.
En empruntant, pour lancer son ouvrage, les mots d’Annie Ernaux (Les Années, 2008), romancière du réel, Alix Garin affiche ses intentions : parler un peu d’elle-même mais avec de la distance. Confier un fragment de souvenirs, passé au prisme de la fiction. Comme elle le confirme en vidéo sur le site du Lombard, l’histoire de Marie-Louise lui a en effet été « inspirée » par sa propre grand-mère, atteinte également de la maladie d’Alzheimer. « Voir son déclin cognitif m’a énormément touchée , poursuit-elle. Sa personnalité a changé au fur et à mesure qu’elle oubliait son passé. Ça m’a ébranlée… ».
D’où l’envie de raconter cette histoire. Dans la BD, son alter ego dessiné, Clémence, d’une vingtaine années elle aussi, est, comme elle, « désorientée » par le déclin de sa Mamy en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes dépendantes). Après quelques fugues de l’aïeule, le personnel de l’établissement prévient la famille qu’il compte l’assommer de médicaments. Une «camisole chimique» peu du goût de la têtue petite-fille, qui veut pour sa grand-mère une fin de vie «digne». Elle la «kidnappe» alors pour un road-trip vers le passé. Un voyage de quelques jours qui va leur permettre de se retrouver, et de se redécouvrir mutuellement…
Une sorte de Thelma et Louise en mode familial et transgénérationnel
Nombreuses sont les BD qui évoquent la «mémoire qui flanche», comme le dit la chanson, et qui arrivent à dépasser le pathos ou les formules habituelles (Ceux qui me restent, La Tête en l’air, Chute de vélo…). Ne m’oublie pas s’ajoute clairement à la liste, une prouesse d’autant plus estimable qu’il s’agit ici d’une première œuvre. Pas si novice que ça, Alix Garin – lauréate du prix Jeunes Talents du festival «Quai des bulles» de Saint-Malo en 2017 – maîtrise sa narration, la dynamisant en jouant habilement sur plusieurs tableaux : au présent, on voit Clémence qui explique la raison de la fugue avec sa grand-mère à des policiers qui l’interrogent. Au passé, elle fait des allers-retours dans ses souvenirs, nostalgiques et brutaux.
Entre les deux, il y a quand même un peu d’action, avec ce road-trip en campagne où il faut échapper aux flics, se méfier des rencontres d’une nuit dans un hôtel de ZAC, et gagner (en trichant) au 421 contre un pilier de bar PMU… Une sorte de Thelma et Louise en mode familial et transgénérationnel : en effet, la figure de la mère, inquiète de cette folle escapade, revient régulièrement dans les évocations de Clémence, avec qui elle a des choses à régler… et à pardonner. « Sur les sentiments ressentis par les personnages, je me suis clairement inspirée de mon expérience », précise la jeune auteure belge. Ce que corrobore son personnage dans l’ouvrage, lâchant : «Même lorsqu’on prétend raconter l’histoire des autres, c’est un peu de soi dont on parle, non ?…»
On ne peut que la croire tellement l’incarnation est sensible, jouant allègrement avec les sentiments : il y a de jolis moments de complicité, d’humour, de poésie, d’amour, de tendresse. Des souvenirs de compote de pommes au retour de l’école, de talc dans les pantoufles, de pièces de théâtre regardées à la télé avec le grand-père… Mais Clémence doit en affronter d’autres, plus durs (la démence de sa grand-mère, l’absence d’une mère trop occupée à son métier, la différence et la nécessité de l’assumer, notamment sexuellement). De bout en bout, ces confrontations sont embrassées par un trait tout en douceur et un ton pastel tout aussi bienveillant. Avec Alix Garin, il n’est finalement pas question de fuite ni de quête, comme suggéré dans la BD, mais bien d’envolée.
Grégory Cimatti