L’auteur américain Matt Kindt dévoile en français son œuvre majeure, Mind MGMT (2012-2015), une saga d’espionnage psychologique singulière, à la croisée entre Inception et Jason Bourne. Entre les deux, le lecteur, lui, perd tous ses repères. Et c’est tant mieux !
Mind MGMT, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre entre un auteur et une maison d’édition : d’un côté, Matt Kindt, passionné d’espionnage, sujet qui marque son œuvre depuis maintenant vingt ans, à l’instar de Deux sœurs (2004), Super Spy (2007), Du sang sur les mains (2013) ou Dept. H (2016). De l’autre, Monsieur Toussaint Louverture, éditeur audacieux qui aime faire dans le hors norme, l’épais, le labyrinthique – on se souvient notamment du pavé Moi ce que j’aime, c’est les monstres, d’Emil Ferris, récompensé du Fauve d’or à Angoulême en 2018.
Entre les deux, ça ne pouvait donc que faire des étincelles. Pour preuve, ce superbe Mind MGMT, ouvrage présenté sous forme de dossiers classés top secret qui, apparemment, sont déjà passés entre plusieurs mains. Dessus, discret, un avertissement : «Merci de porter des gants de protection psychique à la lecture de ce livre». On se dit alors que l’aventure qui nous attend risque d’être très particulière.
C’est effectivement le cas avec cette saga complètement folle, lancée par ce premier tome en français qui regroupe les douze premiers fascicules édités par Dark Horse Comics aux États-Unis (les 24 suivants seront compilés dans deux autres ouvrages, attendus pour septembre et janvier 2021). Car oui, on est bien ici dans l’univers du comics : mais si Matt Kindt a bien travaillé chez DC, Marvel et sur l’ensemble de l’univers Valiant, son style et ses envies de manipulation narrative l’amènent à repousser toujours plus loin les clichés et les réflexes du genre.
Au graphisme convenu, il oppose ainsi un dessin tout en aquarelle, parfois proche de la simple esquisse. Et aux héros invincibles, hauts en couleur et régulièrement sauveurs de l’univers tout entier, il propose toute une galerie de personnages à la marge, angoissés, déprimés, et aux motivations secrètes. Ceux appartenant à Mind MGMT, société qui a pour objet de manipuler l’esprit des citoyens, pour assurer tantôt la paix, tantôt le renversement des régimes…
Si certaines personnes peuvent réécrire l’histoire, à quoi peut-on se fier ?
À sa poursuite – bien qu’en réalité, on se demande souvent qui chasse l’autre – on trouve une romancière en mal d’inspiration, mettant les pieds là où il ne fallait pas, et qui, du jour au lendemain, se retrouve menacée de mort par de parfaits inconnus plus que coriaces, puis prise sous l’aile d’un agent de la CIA. Rapidement, elle va découvrir l’envers d’un monde qu’elle croyait connaître, aussi fascinant que paranoïaque, accompagné également par un certain Henry Lyme, lui-même «habité» par des pouvoirs paranormaux et véritable clé de voûte de cette histoire rocambolesque.
À travers leur récit, on découvre des agents aux capacités psychiques exceptionnelles, qui luttent en coulisses pour changer le destin de l’humanité : l’un prédit le futur en lisant les pensées des personnes qui l’entourent, d’autres sont doués pour la propagande (notamment publicitaire) ou pour discuter avec les animaux, tandis qu’un autre, encore, peut déceler le point faible de n’importe quelle structure… En face, le duo d’«enquêteurs» offre un contrepoint à cette terrifiante agence gouvernementale qui agit dans l’ombre, proposant pour le coup une réflexion existentielle, à travers une question très simple : qui sommes-nous en vérité ? Car dans un monde où certaines personnes peuvent réécrire l’histoire, à quoi peut-on réellement se fier ?
C’est tout l’objet de ce Mind MGMT qui alterne les humeurs. Il y a bien sûr, dans son ADN, du thriller d’action «testostéroné» à la Jason Bourne, avec course poursuite sur les toits, tentative d’assassinat à bord d’un avion et règlement de comptes dans les toilettes. Mais c’est surtout dans Inception (2010) et son scénario alambiqué que l’œuvre trouve un écho fédérateur. Comme dans le film de Christopher Nolan, Mind MGMT nécessite en effet des temps de pause, et des sauts en arrière pour mieux saisir ce qui se cache entre les lignes du récit.
«Chaque réponse soulève plus de questions»
Car si le périple intercontinental narré par Matt Kindt est, au premier abord, chronologique, il est vite perturbé par des sauts dans le temps, coupé par des sous-dossiers (présentant notamment l’histoire générale du Mind MGMT et celle propre à ses membres), et surtout tordu dans tous les sens, afin de brouiller les pistes qu’il avait lui-même ouvertes. Une intrigue complexe à laquelle s’ajoutent de nombreux indices disséminés ici et là dans les marges, infimes traces ou éclaboussures plus ou moins compréhensibles, sous forme de dessins ou de textes, pour mieux orienter le lecteur, ou le perdre, c’est selon.
Arrivé au bout des 352 pages (eh oui !) de ce premier tome, il y a de quoi douter de tout. Comme l’affirme Terry Moore (auteur de Strangers in Paradise), avec Mind MGMT, «chaque réponse soulève plus de questions». Seule certitude de cette histoire de dingues… ou de dupes : son potentiel cinématographique. On apprend d’ailleurs que Ridley Scott a déjà acheté les droits pour une éventuelle adaptation. Certaines choses se tiennent encore, bien heureusement.
Grégory Cimatti
Lexington, Missouri. Meru Marlow se réveille dans son appartement. Plus rien dans son frigo, plus d’eau au robinet, une pile de factures en retard. Elle allume la télévision, on y passe un documentaire sur les passagers du mystérieux vol 815. Ça lui donne une idée pour son prochain livre, elle qui n’arrive plus à donner suite à son best-seller.
Elle se lance sur les traces laissées par l’unique passager manquant à la descente de l’appareil, le mystérieux Henry Lyme. Ses investigations la conduisent bientôt sur la piste d’une organisation secrète agissant dans l’ombre grâce à des agents dotés de pouvoirs de manipulation psychique, le Mind Management.
Indice après indice, rebondissement après rebondissement, elle comprend que son implication dans le Mind MGMT est bien plus importante qu’elle ne l’a imaginé…