Il a été musicien avant-gardiste, compositeur vedette, personnage mondain… Michel Magne a surtout accueilli dans son château-studio le gratin de la pop mondiale, avant que tout ne s’écroule… Les Amants d’Hérouville célèbre sa démesure et son audace.
C’est une folle histoire, au moins autant que celui qui l’a construite. Et «vraie» comme tient à le préciser, dans son sous-titre, Les Amants d’Hérouville. Celle de Michel Magne et de son improbable château-studio d’enregistrement, situé dans l’Oise, par lequel est passé, au début des années 70, tout le gratin du rock et de la pop mondiale : Elton John, David Bowie, Pink Floyd… Un lieu et un destin uniques racontés avec brio par Yann Le Quellec et Romain Ronzeau qui, à leur tour, consolident la légende.
Celle-ci s’est construite par hasard. Un rêve porté à bout de bras par un personnage haut en couleur, animé par une fureur de vivre sans égale. Grâce à une biographie amusante, des photographies d’archives se mêlant aux dessins et une riche documentation, on en apprend un peu plus sur Michel Magne, surtout connu pour ses bandes originales de films (la série des Angélique et des Fantômas, Les Tontons flingueurs, Un singe en hiver, Mélodie en sous-sol…).
Ici, on découvre un personnage fantasque, équilibriste qui soigne ses entrées, fêtard de la première heure, peintre frénétique, homme du monde aux amitiés nombreuses (Françoise Sagan, Boris Vian, Juliette Gréco, Jean Cocteau…) et surtout, un passionné fou d’amour de Marie-Claude, rencontrée alors qu’elle fait de l’auto-stop. Elle le suivra jusqu’au bout, des grands soirs à la chute.
L’incendie de mai 1969
Côté musique, le déroulé est tout aussi extravagant : avant-gardiste boudé par la critique mais salué par ses pairs, Michel Magne fonde un groupe électronique… en 1951, torture son public avec un concert d’infrasons, créé des «objets musicaux» avec ses bandes magnétiques, propose des performances survoltées en mode dadaïste. Logique, finalement, de le retrouver, un peu plus tard, à la tête du premier studio d’enregistrement résidentiel de France (et l’un des tout premiers au monde).
Toute sa passion et son ardeur se concentrent autour de ce château, celui d’Hérouville, situé à une trentaine de kilomètres de Paris, théâtre par le passé des amours illégitimes de Chopin et Sand (selon une autre légende). Avec l’argent gagné grâce au cinéma, il l’achète en 1962 et y mène une vie de grand luxe. Le champagne coule à flots, les soirées sont interminables et les invités toujours plus nombreux.
Mais voilà qu’en mai 1969, un incendie ravage le bâtiment, détruisant toutes les partitions et les enregistrements stockés sur place. Michel Magne, dévasté, devient un compositeur sans archives. Le passé effacé comme une ardoise, il s’attelle alors à se dessiner un avenir.
D’où, quelques mois plus tard, l’aménagement d’un studio, pour lui et d’autres artistes, afin de «couvrir les frais», comme il dit dans l’ouvrage. Son idée? Attirer les musiciens qui en ont «marre des techniciens en blouse blanche», ceux des maisons de disques d’alors qui laissent peu de place à la créativité. Alors qu’avec un bâtiment du XVIIIe siècle, perdu en pleine campagne, réputé pour ses fêtes, ses vins et son cuisinier-poète, avouez que l’invitation est tentante…
Le concert mythique du Grateful Dead
Ils seront d’ailleurs nombreux à s’y presser. Des «locaux» : Eddy Mitchell (et son ingénieur du son, Dominique Blanc-Francard, qui deviendra vite un pilier du studio), Johnny Hallyday, Magma, Gong, Claude Nougaro, Jacques Higelin… Des pointures internationales aussi : Elton John, David Bowie, Pink Floyd, T. Rex, MC5… et plus tard Iggy Pop et les Bee Gees (pour Saturday Night Fever).
Point d’orgue – et de départ – de cette étonnante aventure, un concert improvisé (et sous substances) des Grateful Dead devant une centaine de convives, dont une majorité de villageois, qui finiront dans la piscine, la tête à l’envers…
Une cour «des miracles» qui durera de 1970 à 1974, avant que la dégringolade commence. Michel Magne n’est pas un gestionnaire. Trop dépensier et généreux, il accumule les factures et, assommé de dettes, délègue la gestion du studio d’enregistrement. Le début des ennuis qui l’amènera dans des joutes judiciaires, vers la ruine, la dépression, le suicide.
Avec justesse, et dans une approche documentaire bien pensée, Les Amants d’Hérouville, à l’aube du libéralisme des années 80, dépeint l’innocence d’un homme qui rêvait trop fort, car c’est comme cela que l’on crée : libre et sans calcul.
Yann Le Quellec et Romain Ronzeau, attentifs jusqu’au bout, rappellent que depuis 2018, le château revit grâce à trois studios qui accueillent à nouveau les musiciens. L’âme et l’époque ne sont certes plus les mêmes, mais l’important, aurait sûrement dit Michel Magne, c’est que derrière, il y ait un cœur qui bat.
Grégory Cimatti
Les Amants d’Hérouville, de Yann Le Quellec et Romain Ronzeau. Delcourt.
L’histoire
1970. Marie-Claude rencontre Michel Magne, génial compositeur de musiques de films. C’est le coup de foudre. Elle le rejoint dans son château d’Hérouville où Bowie, Elton John et bien d’autres stars se rassemblent pour enregistrer. Mais le succès attise les convoitises. Derrière le conte de fées, la tragédie se profile… Ce roman vrai révèle le destin inouï de Michel Magne au cœur de la pop culture des années 50 à 80.