D’un côté, un club de jeunes détectives façon 4 As et Bibliothèque verte. De l’autre, une ville étrange baignée dans une atmosphère à la David Lynch. Au milieu, une nouvelle série canadienne déjantée.
Si le festival d’Angoulême, cette année privé de public, s’est déroulé dans une relative indifférence, il a quand même rappelé la bonne forme de la BD canadienne, audacieuse aventurière venant de l’Ouest cherchant à faire sa place dans un marché européen déjà saturé. L’exemple le plus fameux reste les histoires de Paul, imaginé par le Québécois Michel Rabagliati, récompensé justement du prix de la série 2021. Côté curiosité, il y avait aussi la présence, discrète, de la petite maison d’édition Pow Pow, sélectionnée pour la parution d’une nouvelle proposition : Les Mystères de Hobtown.
Derrière l’invitation à mener l’enquête, on trouve deux auteurs malicieux : Kris Bertin (scénario) et Alexander Forbes (dessin), amis d’enfance depuis leur Nouvelle-Écosse d’origine. Mais si Hobtown est le fruit de leur riche imagination, elle ramène toutefois à d’anciens souvenirs de leur terre isolée bordant l’Atlantique et ses villes pittoresques, étrangement calmes. Un terreau propice, selon eux, pour s’amuser à se faire peur avec des monstres, des sorciers, d’étranges bestioles et des habitants pas très clairs. Et tant qu’à faire dans la nostalgie, le duo lance sur ces traces démoniaques une bande de jeunes adolescents curieux et fouineurs.
Une galerie de citoyens plutôt arriérés
Avec Dana, Pauline, Brennan et son frangin Denny, ainsi que Samuel, à la recherche de son père disparu, tout jeune lecteur replonge alors dans ses premières amours : Les 4 As, Le Club des Cinq, Scooby-Doo… Mais si ce nouveau club de jeunes détectives s’est jusqu’alors fait les dents sur de minces affaires (celles du «feu de pneus», de la «montre du maire» et du «voleur d’œufs », présente Dana lors d’une réunion), celles qui les attendent sont d’un tout autre niveau : enlèvements, manipulations psychiques, sorcellerie, meurtres, sociétés secrètes… Bon, cela ne va pas les arrêter pour autant et, dans deux tomes déjà parus (L’Affaire des hommes disparus et L’Ermite maudit), ils vont glisser progressivement dans le fantastique à la Twin Peaks et dans l’horreur «gore» à la Dario Argento.
Dans leur sillage, le lecteur est lui aussi embarqué dans un drôle d’univers : on croit l’œuvre gentiment rétro et naïve, avant de tomber dans quelque chose de plus inquiétant. Il y a aussi cette langue, le québécois, qui par ses expressions et son rythme, ajoute une forme de douce singularité à l’ensemble (à moins d’en être familier). Tout ici semble dérailler, échapper à la raison, avec de multiples embûches et de fausses pistes qui ouvrent sur des rêves maléfiques, des dons surnaturels, des tueurs masqués par des assiettes en carton, un drôle de petit bonhomme poilu, une académie élitiste branché incantation… Sans oublier toute une galerie de citoyens plutôt arriérés. «Il se passe toujours des affaires bizarres ici, mais les gens oublient», confirme un policier corrompu.
Les Mystères de Hobtown alternent ainsi moments de bravoure, célébration de l’amitié et émancipation vers l’âge adulte, typiques de la littérature jeunesse, auxquels il oppose une grosse dose d’insolite, de drôleries – comme la brillante Dana qui fume la pipe comme un bon vieil inspecteur – et de bizarreries. C’est vrai, il est parfois complexe de comprendre toutes les allusions, notamment en ce qui concerne le folklore local et l’histoire coloniale de la Nouvelle-Écosse (on y parle de «sang impur», d’«autochtone»). Mais il y a une vraie saveur à plonger dans ces histoires à la tonalité sombre qui évoque Charles Burns et à l’aspect déjanté d’un Olivier Schrauwen. Réclamons alors une dose supplémentaire d’excentricité, pour se perdre à nouveau dans ces mystères de l’Ouest.
Grégory Cimatti
Les Mystères de Hobtown (t. 1 & 2), de Kris Bertin et Alexander Forbes, éditions Pow Pow.
L’histoire
Quelque chose ne tourne pas rond dans la petite ville de Hobtown, en Nouvelle-Écosse. Dans L’Affaire des hommes disparus, des hommes s’évanouissent dans la nature sans laisser de traces et la police ne fait rien. Max Finch, le père de Sam, fait partie du lot. Avec l’aide du club de détectives de l’école secondaire locale, dirigé par la brillante Dana Nance, Sam va tenter de le retrouver… Dans L’Ermite maudit, Pauline et Brennan sont envoyés à l’académie de Knotty Pines – qui forme l’élite de Hobtown depuis plusieurs générations. Mais les sombres corridors de ce prestigieux établissement abritent de nombreux secrets, dont une terrible malédiction…