Sorti il y a dix ans, Le Masque du fantôme profite de la nouvelle collection des éditions Vide Cocagne pour prendre des couleurs dans une version «augmentée», rappelant l’amour de jeunesse de l’auteur, Fabien Grolleau, pour les superhéros des années 30-40.
Depuis près de quinze ans, Le Masque du fantôme multiplie les costumes et les aventures. Comme son auteur, Fabien Grolleau, l’explique dans la préface, il faut remonter à 2006 pour découvrir la première mouture de ce récit au sein de la revue Quartier, déjà chez Vide Cocagne.
Une «œuvre de quelques feuilles» seulement qui s’est ensuite étoffée sous la bienveillance de Lewis Trondheim, chez Shampooing (Delcourt). Deux ouvrages – pour un total de 400 pages – sortiront finalement en 2010 et 2011 : Le Château des ombres et La Cité des masques.
Mais comme les héros ne meurent jamais, le voilà de retour dans une toute nouvelle collection, Quixote, qui d’emblée précise ses intentions : «Rééditer autrement des livres parus il y a dix ans, un siècle, une éternité!».
Avant Notre seul ami commun de Boris Mirroir (sorti en juin) et Les Villes d’un jour de Rudy Spiessert (prévu pour la fin d’année), cette œuvre de jeunesse ouvre le catalogue, jouissant alors d’un nouvel éclairage dans une version «director’s cut», comme on dit à Hollywood.
Un hommage revendiqué aux superhéros
Soit ici l’ajout de la couleur rouge seyante, qui souligne idéalement un trait en noir et blanc très fanzine, ainsi qu’une légère restructuration, afin de donner plus de dynamique à l’ensemble. Un retour aux sources enchanteur pour Fabien Grolleau (cofondateur et l’un des principaux auteurs, rappelons-le, de Vide Cocagne), qui avoue avoir gardé «une affection particulière» pour cette histoire.
Sûrement parce qu’elle lui a beaucoup appris et que, par rebond, elle constitue le «point de départ» de sa vie d’auteur, aujourd’hui riche – encore l’année dernière, il s’est fait remarquer, en compagnie du dessinateur Nicolas Pitz, avec la cavale d’Angela Davis (Traquée).
Le Masque du fantôme, bien qu’irrégulier car n’évitant pas les maladresses propres au premier essai, s’apprécie toutefois pour ce qu’il est : un hommage revendiqué aux superhéros des années 30-40, et surtout celui imaginé par Lee Falks (créateur de Mandrake le Magicien) : le Fantôme, premier justicier à porter un costume moulant et le masque dès 1936, et que l’adaptation française, grossière erreur, installa au Bengale, alors qu’en réalité, il vit en Afrique dans un pays fictif nommé Bengala…
La même formule qu’il y a dix ans
Mieux, avec cette réédition, par l’entremise du personnage de Sacha, jeune auteur de BD dont le travail n’est pas pris au sérieux par son entourage, Fabien Grolleau réaffirme l’importance des comics (et de leur lectorat) – format qui a permis à de nombreux auteurs de talent de se faire la main et d’imaginer des univers sans fin, désormais ultra-exploités par le cinéma. Que dire alors de ce vieux fan milliardaire qui se cache, dans la BD, sous le masque du Fantôme, évident clin d’œil à Don Quichotte, justicier fonçant tête baissée pour se battre contre des moulins à vent, des chimères.
Dans un dessin assez sombre qui ramène aux premiers, tout aussi naïfs, de Mathieu Sapin, Le Masque du fantôme, sous son nouveau et imposant gabarit, garde la même formule qu’il y a dix ans : de courts chapitres qui s’enchaînent dans un rythme soutenu, entrecoupés de fausses couvertures de comics «vintage».
Ces pleines pages permettent de souffler, car l’histoire n’est pas avare en flash-back, clins d’œil et anecdotes, dans un équilibre subtil entre réalité et imagination.
Une histoire gentiment barrée, pleine d’humour, qui dit en creux qu’un justicier trouvera toujours des ennemis à combattre : d’anciens nazis, un maire populiste… Et ramène à une question, volontairement moqueuse, affichée en fin d’ouvrage : «Comment voulez-vous qu’avec de telles lectures, notre jeunesse ne soit pas perturbée?»…
Grégory Cimatti
Le Masque du fantôme, de Fabien Grolleau. Vide Cocagne (Quixote).
L’histoire
Un fan de comics américains est devenu siphonné, avec l’âge et à force de lire les péripéties de son héros préféré, le Fantôme des Everglades. Le jour, le vieil homme est un paisible collectionneur. La nuit, il sort en tenue de superhéros et croit sauver le monde! Avec masque et cape, il compte bien régler son compte à son ennemi juré, le machiavélique Sorcier. À ses côtés, Sacha, jeune auteur de BD, se retrouve bien malgré lui embarqué dans l’aventure. Censé le protéger, il va vite entrer dans son jeu et se perdre entre réalité et imagination.