Un jeune cosmonaute évincé de sa mission spatiale part dans un road trip halluciné dans les steppes russes, afin de voir décoller «sa» fusée. Une belle surprise qui défile à un rythme d’enfer.
Ces derniers temps, l’espace et sa conquête sont à nouveau devenus une obsession. Les États y investissent des sommes folles, les spationautes postent sur Instagram leurs exploits depuis l’ISS (Station spatiale internationale), tandis que des riches s’y offrent une escapade express. Nils, lui aussi, voulait jouer un rôle dans l’Histoire. Il s’y est d’ailleurs préparé pour : scaphandres de 100 kilos, passages dans une centrifugeuse et autres exercices en apesanteur… Il a passé les épreuves les plus éreintantes. Jusqu’a ce banal tapis roulant sur lequel il s’entraîne. Sur lequel il s’effondre. Crise cardiaque.
C’est sans appel, il ne sera jamais cosmonaute. Il ne lui reste plus que son rêve envolé et son blouson que son instructeur de la Cité des étoiles lui a laissé. Déprimé, son cas se gâte quand il se fait voler son argent et ses papiers. Seul dans Moscou, il rencontre d’abord Olga, une sans-abri qui, à sa manière, a également une disposition à l’apesanteur. Totalement perchée, elle est persuadée qu’il est Youri Gagarine! Ensuite Ahn, une prostituée qui cherche à s’élever vers les cieux par la prière. Après une altercation, Nils laisse cette dernière dans une mare de sang…
De l’espace et du souffle
Poursuivis par la police, Nils et Olga traversent la Russie dans une vieille Trabant pour atteindre le cosmodrome. C’est que le garçon ne veut pas manquer le départ de «sa» fusée. Mais y arriveront-ils à temps? Le compte à rebours est lancé pour un road trip assez original, pour ne pas dire halluciné.
En Russie, il y a une célèbre expression qui affirme : «Dieu est haut, le tsar est loin». Les personnages du Compagnon de route pourraient dire : «La lune est haute, le rêve est loin». Des paumés, abîmés par la vie, qui aspirent seulement à plus de lumière. Embarqués dans une course haletante, ils rappellent ceux de Baru, adepte lui aussi de la fuite précipitée (L’Autoroute du soleil).
Le dessin nerveux de Tristan Fillaire, qui s’inspire un peu du manga, y est pour beaucoup dans la filiation. Mais le jeune dessinateur n’a pas vraiment besoin de comparaison, vu qu’il maîtrise son sujet à la perfection. Avec lui, le rouge imprime les visages anguleux et les cases, de dimensions variées, s’empilent à leur guise, parfois de manière désordonnée. Un découpage inventif et habile, finalement cinématographique, qui donne de l’espace et du souffle, deux termes qui comptent dans cette histoire.
Un récit qui joue avec les flash-back
Derrière celle-ci, on trouve une jeune auteur, Lucie Quéméner qui, dès 2020 et son premier ouvrage (Baume du tigre) – nourri de son expérience personnelle – s’est taillée une belle réputation (le livre a reçu le prix France Culture BD des étudiants et a été doublement sélectionné au festival d’Angoulême 2021).
Pour son retour, elle ne fait pas fausse route, avec un récit qui joue avec les flash-back et qui, découpé en chapitres, se consacre à l’un ou l’autre personnage, même plus secondaires (le lieutenant Antiom qui lance la poursuite, Eileen, la remplaçante de Nils…). Un seul reproche toutefois : on aurait aimé qu’elle s’aventure sur des chemins de traverse, afin de densifier son thriller. Malgré l’hémoglobine, l’échappée désespérée et les envies d’élévation, ses personnages en avaient clairement encore sous le pied.
Grégory Cimatti
Le Compagnon de route, de Lucie Quéméner et Tristan Fillaire. Sarbacane.
L’histoire
Nils se voyait déjà partir en mission sur l’ISS en mars 2022 après son entraînement intensif au sein de l’Agence spatiale européenne. Mais voilà, après un accident cardiaque, il doit abandonner ses rêves d’immensité et de gloire. Un coup du sort le met alors sur le chemin d’Olga, une sans-abri illuminée qui le prend… pour Youri Gagarine! Poursuivis par la police à la suite du meurtre accidentel d’une prostituée, tous deux roulent à travers la Russie pour atteindre le cosmodrome. Y seront-ils à temps pour voir décoller la fusée?